Olivier Père

Mr. Turner de Mike Leigh

Dans le cadre d’un cycle consacré aux peintres au cinéma – le génial Van Gogh de Maurice Pialat est aussi programmé le mercredi 17 octobre en première partie de soirée – ARTE diffuse Mr. Turner (2014) de Mike Leigh lundi 15 octobre à 20h50.

Mike Leigh retrace les 25 dernières années de J. M. W. Turner, de son statut d’artiste admiré jusqu’à son déclin et son isolement progressifs. D’abord loué par la critique, membre puis président de la Royal Academy, Turner deviendra un sujet de moqueries et d’incompréhension lorsque sa peinture s’approchera de l’abstraction, en rupture avec l’académisme et l’art apprécié des salons.

Le cinéaste s’intéresse à la vie quotidienne de Turner, personnalité excentrique et incommode, mais aussi à sa perception de son temps. Comme souvent chez Mike Leigh, le trivial côtoie le cérébral. Le peintre fut un témoin lucide de l’avènement de l’ère industrielle comme en témoignent l’évolution de sa peinture et des tableaux de la dernière partie de son oeuvre sur la vapeur et la vitesse (notamment Pluie, vapeur et vitesse qui représente une locomotive, peint en 1844), et qui en font un précurseur de l’impressionnisme.

Mike Leigh signe une biographie en forme d’autoportrait et de profession de foi. En nous montrant les recherches de Turner, le cinéaste propose une réflexion sur l’image et ses rapports avec la science, la technologie et la magie. Mike Leigh rappelle également l’engagement politique de Turner, qui évoqua la traite des esclaves dans l’une de ses œuvres les plus célèbres (Le Négrier, 1840). Le caractère malcommode de Turner, mais aussi son intransigeance morale n’est pas sans rappeler ceux du hérisson Mike Leigh, cinéaste mal léché dont l’humanisme n’est jamais lénifiant. Le cinéma de Mike Leigh se distingue, entre autres qualités, par un attachement fidèle et amoureux à une troupe d’acteurs et d’actrices que le cinéaste regarde vieillir de films en films.

Timothy Spall, visage familier des films de Mike Leigh, campe un Turner taciturne et bougon, qui a l’habitude de grogner et parvient mal à exprimer ses sentiments, notamment dans ses relations avec les femmes. Entre désertion, humiliation ou mépris, Mike Leigh montre un Turner inapte à assumer ses devoirs de fils, père ou amant. Discréditant une mère folle, une génitrice abandonnée ou une servante soumise, Turner trouvera une forme de rédemption tardive dans son amour sincère pour Mrs. Booth, la propriétaire d’une pension en bord de mer qu’il avait l’habitude de fréquenter pour préparer ses marines. Mrs. Booth deviendra sa maîtresse officielle en fin de vie, au détriment de sa fidèle gouvernante qui sombrera dans le désespoir, gravement atteinte par une maladie de peau. Mike Leigh n’a pas l’habitude de faire des bons films avec des bons sentiments. Sans chercher à provoquer l’empathie du spectateur envers Turner, artiste aussi génial qu’impossible à vivre, Mike Leigh poursuit dans cette production ambitieuse son travail d’introspection et d’auscultation de l’âme humaine dans un contexte social défini. La reconstitution historique n’éloigne pas Leigh du réalisme ontologique de son cinéma. Mr. Turner ne sombre pas dans l’écueil d’un cinéma illustratif et benoitement pictural. Leigh ne cherche pas à reproduire des toiles de Turner à l’écran, mais à saisir l’intériorité du peintre, et donc quelque chose de son regard sur le monde. Mr. Turner, au-delà de sa splendeur visuelle, avec ce mélange de méticulosité maniaque et de violence contrariée typiquement britannique, se révèle un film-cerveau. Souvent comparé à Jean Renoir, Mike Leigh rejoint de manière inattendue un autre cinéaste avec ce film aussi fascinant que mystérieux, et faussement classique : Stanley Kubrick.

 

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