Certains cinéastes retranchent, creusent à l’os, tendent vers l’épure. Au contraire, on a le sentiment que Bruno Dumont depuis plusieurs films a enrichi chaque nouvelle création cinématographique de strates et de matériau supplémentaires. Parti à la recherche de la simplicité (La Vie de Jésus) il s’est récemment orienté vers des films de plus en plus baroques, impurs, mélangés, principalement par le prisme du burlesque et du fantastique. Il est possible que L’Empire constitue un point de non-retour dans cette démarche.
Le baroque est l’art de la métamorphose et c’est vers la transformation que tend l’œuvre de Dumont. France (2021) navigue en permanence entre comédie satirique et mélodrame, lyrisme et dissonance, et se révèle un film étonnant et bouleversant à plus d’un titre. Dumont propose la chronique de la vie frénétique d’une journaliste star de la télévision, prise entre la célébrité́ et une spirale d’évènements qui entraineront sa chute. Entre drame et comédie, le cinéaste veut mettre en scène la crise intime et publique d’une jeune femme et dresser un tableau impitoyable de la France contemporaine. « Filmer cette vie et cette illumination. Filmer cette conversion, sa détermination, ses maux, ses sursauts, sa lutte », telles étaient les intentions de départ de Dumont. Il possède une vision du cinéma extrêmement puissante. C’est aussi un directeur d’acteurs et d’actrices exceptionnels, qui ne travaille avec des comédiens professionnels que depuis Camille Claudel 1915 avec Juliette Binoche, en 2013. Léa Seydoux est géniale dans France, où elle se livre comme jamais. On a l’impression que la fiction se transforme en documentaire sur la femme et l’actrice. Devant la caméra de Dumont, elle exprime avec force les maux, les luttes, l’état de grâce et la détermination de son personnage.
Diffusion le lundi 6 mai à 22h30 sur ARTE. Également disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur Arte.tv et la chaîne cinéma d’ARTE sur YouTube.
Léa Seydoux a des attitudes et regards absolument jamais vus chez elle ou bien beaucoup moins. Je me demande comment elle a obtenu ça! direction d’acteur ou génie ou les deux?
je dirai les deux. Dumont obtient beaucoup des acteurs et Léa Seydoux a beaucoup donné sur ce film, corps et âme, dans les expressions de son visage, ses pleurs, ses rires et sa mélancolie au point où la femme et l’actrice se mélangent. elle est remarquable aussi dans La Bête de Bonello.
Revu la première moitié de France. Un aspect du cinéma de Dumont qui contribue à son originalité, et qui est rarement évoqué, c’est sa manière très personnelle de diriger ses comédiens: le texte leur est délivré par oreillette, sans qu’ils aient pu l’apprendre au préalable.
Je présume que cette technique n’est pas rigide et qu’elle peut supporter des adaptions, des allègements en fonction des scènes, des émotions à transmettre.
Dans ce film, le déséquilibre induit par cette façon de procéder est frappant: le cinéaste guide ses comédiens pas à pas, et les hésitations, les erreurs, les blancs, le vague des regards qui en résultent ouvrent une faille extraordinaire. La façon dont Sédoux s’empare de de déséquilibre pour servir la fragilité de son jeu est le signe d’une grande actrice prête à plonger dans le vide. Je suis sûr que tout grand comédien doit rêver de ce genre de défi.
C’est aussi une formidable farce iconoclaste que Dumont leur joue!
Albert Serra procède de la même façon pour diriger les acteurs, professionnels ou non, sur ses films depuis le début.
En fait, ce faisant, ils s’interdisent de les diriger puisqu’ils doivent nécessairement composer avec l’imprévu. C’est aussi un pari que font ces cinéastes. Dans France, à plusieurs reprises, Sédoux bafouille, se trompe, comprend mal ce que Dumont lui dit. Et ça, ce n’est pas de la direction, c’est la préparation de l’accident!
c’est exactement ça
Seydoux.. Je n’ai pas bien orthographié son nom! Mi Scusi!
vous êtes pardonné
J’ai revu votre interview de Dumont pour France. Il parle de Peguy, de Bernanos, vous évoquez ces auteurs, Voltaire aussi.
Dumont ne parle que de transcendance, de spiritualité, du Bien, du Mal, de l’espoir, de la croyance en un cœur bon au sein de l’homme le plus vil. mais il ne parle jamais de Dieu, en interview en tout cas.
Avez-vous déjà eu l’occasion de parler avec lui de ses rapports à la religion, à un principe créateur. Dumont croit-il en Dieu? Ses références sont chrétiennes, indubitablement.
Pure curiosité annexe à son œuvre: s’il devait croire en Dieu, ça ne changerait rien à ses films qui ne sont ni prosélytes, ni doctrinaires.
Non Bruno Dumont ne croit pas en Dieu. Mais comme disait Pialat au sujet de son film Sous le soleil de Satan : « je ne crois pas en Dieu mais je crois en Bernanos. »
J’en aurait été surpris. Les athées sont tous orphelins de quelque chose d’essentiel qu’ils passent leur temps à chercher- disons, les athées les plus sensibles, c’est à dire les plus meurtris par la laideur.
Je me réjouis d’écouter vos différentes interviews cannoises à venir!
merci !