Olivier Père

Voyage en Italie de Roberto Rossellini

« L’amour est le plus fort. Rossellini aussi ! » (André Bazin, 21 avril 1955)

 ARTE diffuse demain soir à 22h30, juste après Le Mépris de Jean-Luc Godard, Voyage en Italie (Voyage in Italy, 1953) de Roberto Rossellini, en partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse et le Festival Zoom arrière. Deux films qui, réalisés à dix ans d’intervalle, dialoguent entre eux. Un couple qui découvre qu’il ne s’aime plus, l’Italie du Sud, le monde moderne et les ruines de l’Antiquité… Nul doute que Godard se souviendra de la visite au musée napolitain d’Ingrid Bergman lorsqu’il filmera les statues du Mépris…

Un couple de riches Anglais, Catherine et Alexander Joyce (Ingrid Bergman et George Sanders), se rend à Naples pour vendre une maison dont Alexander a hérité. La froideur et la rigidité de ces grands bourgeois contrastent avec la sensualité, la nonchalance et la chaleur de la région et de ses habitants.

Alexander est cynique et indifférent au monde qui l’entoure, mais aussi à sa femme qui ne lui inspire plus aucune passion. Catherine, au contraire, se plonge dans l’exploration des rues et des musées de Naples, fascinée par la vitalité et la richesse de l’histoire d’une ville à la fois misérable et majestueuse, à peine remise des tragédies de la Seconde Guerre mondiale. Ces visites vont ressurgir les frustrations de Catherine, délaissée par son mari, déçue de ne pas avoir eu d’enfant – alors que la sensuelle et fertile Naples abonde de femmes enceintes, vivant dans le souvenir d’un jeune amant mort qui était poète, tandis qu’Alexander est un pragmatique homme d’affaires.

Alexander traverse lui aussi une impasse existentielle, vaguement secoué par des pulsions libidinales, mais incapable de répondre aux sollicitations de l’autre sexe, ni avec une mondaine le pied dans le plâtre, ni avec une prostituée suicidaire.

Dans une scène à juste titre célèbre, le couple en crise assiste, sur le site de Pompéi, à la découverte grâce à la technique du moulage de plâtre des corps d’un couple antique saisis par la lave du Vésuve. Bouleversée par cette image pétrifiée de mort et d’amour, qui la renvoie à sa condition, Catherine fond en larmes. Un peu plus tard, le couple, sur le point de divorcer, assistera à un miracle lors d’une procession de San Gennaro qui les fera enfin communier avec la beauté et l’harmonie du monde.

Rossellini décrivait son film comme « les variations dans les rapports d’un couple qui subissait l’influence d’un troisième personnage : le monde extérieur qui l’entoure. » Dans cette optique, le choix de Naples n’est pas un hasard : « c’est la ville des choses les plus anciennes, projetée dans l’avenir réel, avec la compréhension innée, quasi inconsciente des valeurs éternelles et de la vérité. » (Roberto Rossellini)

Tournant sans scénario préétabli, enregistrant au fil du temps la vérité des lieux et des acteurs à la manière d’un documentaire ou d’un reportage, le cinéaste sait pourtant exactement où son périple cinématographique le mène. Loin de la désinvolture dont l’accusèrent ses détracteurs, Rossellini invente au contraire une nouvelle façon de faire et de penser le cinéma, une véritable révolution, empruntant aussi bien à l’art qu’au réel, à la religion qu’à la philosophie, dont les plus fervents admirateurs et disciples furent les jeunes critiques et futurs cinéastes des « Cahiers du cinéma », Truffaut, Rohmer, Rivette et Godard.

Voyage en Italie, Hiroshima mon amour, Le Mépris… ARTE réussit à diffuser en l’espace de deux jours la trinité du cinéma moderne européen.

Voyage en Italie est présenté dans sa version originale anglaise, récemment restaurée par la Cineteca di Bologna.

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