Dans le premier plan de Hitcher (The Hitcher, 1986), la flamme d’une allumette perce l’obscurité de l’écran. Un jeune conducteur solitaire grille une cigarette pour échapper au sommeil qui le nargue lors d’un périple nocturne sur une route désertique. Quant au générique de fin, il se déroule sur fond de crépuscule rougeoyant, où se détache la silhouette lointaine du même jeune homme, accoudé à une voiture, quelques dizaines d’heures plus tard. Entre ces deux images, ces deux lueurs flamboyantes dans la nuit, le spectateur vient d’assister à la plus terrifiante initiation à la violence qu’il soit permis d’imaginer. Comme le souligne la première phrase prononcée dans le film (« ma mère ne veut pas que je prenne quelqu’un en stop »), Jim est un jeune homme à peine sorti de l’enfance, encore sous la tutelle maternelle, mais qui cherche à s’en émanciper – il s’arrête pour faire monter un inconnu dans la voiture qu’il est chargé de convoyer jusqu’en Californie. C’est le début d’un cauchemar qui en l’espace de quelques jours va bouleverser à tout jamais le destin et la personnalité de Jim, interprété par le juvénile C. Thomas Howell. On a beaucoup comparé Hitcher à Duel. Le premier long métrage de Robert Harmon remplace le camion fou du chef-d’œuvre inaugural de Steven Spielberg par un autostoppeur sadique qui se fait appeler John Ryder (Rutger Hauer, au sommet de son charisme malsain) et dont la route est jonchée de cadavres. Le camion comme l’autostoppeur sont deux forces indestructibles qui choisissent au hasard une victime innocente. La différence est que Ryder est un être de chair et de sang, dont la violence froide s’accompagne d’un pouvoir de fascination machiavélique.
Ryder n’est pas un simple psychopathe mais un véritable démon errant sur les routes, un Ange exterminateur qui sème la mort sur son passage, et réserve à Jim un traitement particulier.
Ryder ne persécute pas le jeune homme tout au long du film dans le but de le tuer, mais pour le pervertir, le pousser dans ses ultimes retranchements et lui faire découvrir le goût du sang et de la violence. Le voyage serait pour Jim celui de la fin de l’innocence, si ces mots n’étaient pas trop faibles pour décrire ce que Ryder va lui faire endurer. Il serait plus juste de parler d’une perte douloureuse de virginité, ou d’un long viol au cours duquel l’intégrité physique et mentale du jeune homme est sauvagement bousculée par son agresseur.
Au fur et mesure que le film avance vers sa conclusion, le spectateur comprend peu à peu, en même temps que son jeune protagoniste, les véritables motivations de Ryder : corrompre Jim jusqu’à le pousser à le tuer, afin qu’il devienne son héritier.
Entre film noir et horreur pure
Même s’il se déroule entièrement dans le désert texan et n’est pas avare en fusillades, duels et poursuites, Hitcher est moins un western moderne qu’un film fantastique mâtiné d’horreur et d’action. On dénote dans la mise en scène de Robert Harmon des emprunts à Sam Peckinpah, notamment la scène au ralenti lors de l’explosion de la station-service, ou les spectaculaires cascades de voitures. On pense également au cinéma de William Friedkin, en partie en raison du lourd sous-texte homosexuel qui pèse sur le film dès ses premières images.
Extrait du texte écrit pour le livret du film, mis en vente en avril en combo BR/UHD, édité par Sidonis.
Superbe film, hâte de le redécouvrir en 4K ainsi que le livret, j’avais beaucoup apprécié celui sur La Chair et le Sang, avec Rutger Hauer encore et toujours.
Bonjour. Perso, je trouve que le film n’a pas très bien vieilli et qu’il est moins percutant que lors de sa sortie en salle. Certains éléments font aussi penser à Terminator, notamment quand Rutger Hauer apparaît comme un personnage quasi irréel et indestructible capable de dessouder tout un commissariat.
@Comet
C’est tout l’intérêt du film selon moi, la manière dont il part du thriller horrifique et qu’il s’engouffre peu à peu dans le fantastique avec un côté pulp magazine pas déplaisant (R.Hauer comme Schwarzy ont l’air d’être des acteurs sortis d’une BD).
Ça m’a rappelé Appels d’urgence qui commençait comme une comédie romantique et qui finissait en film apocalyptique.
Si tu aimes bien les films qui « dérapent », dans la boutique parisienne Metaluna on m’a conseillé un film de 1993 « Run and Kill » avec une édition récente. Ça vaut son pesant de cacahuètes. Les 3 premières minutes font penser à une petite comédie familiale mais très vite le film part en sucette dans l’ultra violence, voire dans l’abject.
je l’ai revu cette semaine (il est édité par Spectrum en BR) ; un des films « catégorie III » (interdit aux moins de 18 ans) les plus fameux (ou plutôt infâmes) du cinéma de Hong Kong. Un monument de sadisme et de mauvais goût avec en effet des dérapages insensés. Il faut le voir pour le croire…
Merci du conseil, je ne connaissais pas du tout ce film, je vais regarder ça.
A la suite de cet article et de vos échanges, j’ai rouvert les portes de mon adolescence pour revoir ce film, emblématique des soirées passées avec ma fratrie devant la télé. La dernière séance de Hitcher devait remonter au tout début des années 90.
Plein de condescendance, je m’attendais à être déçu, mais non! Le film tient la route (mot d’esprit!). La réalisation est pleine de souffle, les plans très soignés. Qui est ce réal passé aux oubliettes? Comment n’a-t-il pas fait une carrière plus brillante?
Quant à Rutger Hauer, je n’imagine personne d’autre dans ce rôle. Il excelle dans ce type de personnage hanté par la mort, cadavre aliéné, au bout de sa course, abattu par des forces obscures qui le rongent. Le Hitcher est une évidente réplique du répliquant. Et Hauer est définitivement un acteur qui n’a pas été servi par le cinéma à la hauteur de son talent.
Votre analyse de la relation entre l’auto-stoppeur et le jeune homme est intéressante. Je ne l’avais pas décryptée de cette façon. On est d’accord sur le fait que Le Hitcher veut mourir. Dès le début, on le sent au bout de sa vie. Il choisit un innocent pour le dresser à le haïr, et c’est la que je diverge: pas pour le salir, mais d’abord pour sublimer son suicide et lui donner un sens: être tué par un homme vierge. Le dépuceler et jouir de son débordement de haine. Je ne crois pas qu’il ait voulu faire de lui un « héritier ». Je pense au contraire que le volcan s’éteindra, mais son éruption était nécessaire. Plus essentielle, plus symbolique, que la haine ordinaire d’un flic qui veut venger un copain (scène du film).
le scénariste n’a semble-t-il plus rien fait de valable après. Ni le cinéaste, ni le jeune acteur…
@Bertrand Marchal
Dans mon souvenir (vu il y a très longtemps), le dernier film en date de Robert Harmon (2004 quand même), Highwaymen, est un honorable thriller routier encore dans la lignée de Duel. En revanche, Le peuple des ténèbres est vraiment irregardable.
Mais effectivement, Hitcher est de loin ce qu’il a fait de mieux.
Merci Jimerhino, j’en prends note!