Olivier Père

4 Mouches de velours gris de Dario Argento

Dans le cadre de sa formidable programmation autour des femmes infernales dans le cinéma fantastique la case Trash d’ARTE propose dans la nuit du jeudi 29 octobre à 0h05 4 Mouches de velours gris (4 mosche di velluto grigio, 1971) l’un des films les plus beaux et les plus rares de la première partie de la carrière de Dario Argento. Dario Argento fut dans les années 70 l’un des cinéastes à employer avec le plus d’inventivité l’écran large, sans parler de son utilisation expressive de la couleur, du son et de la musique – splendide colonne sonore tour à tour angoissante et mélancolique de Ennio Morricone pour le film qui nous intéresse.

4 Mouches de velours gris est sans doute le meilleur titre de la « trilogie animale » qui marqua la réinvention par Argento du « giallo », le thriller horrifique à l’italienne auquel Mario Bava donna ses premières lettres de noblesse quelques années plus tôt. Les trois premiers « gialli » de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal (1970, film initialement prévu pour Terence Young), Le Chat à neuf queues (1971) et 4 Mouches de velours gris la même année sont des exercices antoniono-hitchockiens dans lesquels le jeune cinéaste italien s’amuse à tromper les sens des spectateurs grâce à d’astucieuses trouvailles de scénario et de mise en scène.

Beaucoup moins impressionnants que Les Frissons de l’angoisse, Suspiria, Inferno, Ténèbres et Phenomena, les deux premiers films de Dario Argento n’ont pas très bien vieilli, mais demeurent d’honnêtes séries B stylisées, jonchées de références cinéphiles et de détails sadiques, avec de belles mélodies morriconiennes. 4 Mouches de velours gris est le plus intéressant du lot car c’est un film assez personnel qui clôt cette première trilogie criminelle et maniériste en complexifiant le matériau d’origine (des enquêtes policières où l’effet de surprise repose sur l’identité du criminel et ses techniques de meurtres) entre deux citations de Fritz Lang et Jacques Tourneur. 4 Mouches de velours gris est aussi l’histoire d’un jeune couple qui se désagrège, à cause des infidélités de l’homme, un musicien flegmatique (Michael Brandon, sosie de Dario Argento) et des angoisses de la femme (Mimsy Farmer à la beauté androgyne). Argento ne fit aucun mystère de la dimension autobiographique de cette histoire. La conclusion du film achève de transformer 4 Mouches de velours gris en cauchemar misogyne. C’est également la première fois qu’Argento ajoute des épisodes comiques à un film reposant sur des morceaux de bravoure terrifiants, conférant à son récit un rythme étrange, entre nonchalance et hallucination, qui sera aussi celui des Frissons de l’angoisse. 4 Mouches de velours gris propose ainsi des plages décontractées avec Jean-Pierre Marielle en détective homosexuel avouant n’avoir jamais résolu une seule enquête ou Bud Spencer en clochard philosophe surnommé « Dieu ». Après le ratage de sa comédie historique Le cinque giornate, Argento abandonnera ces intermèdes rigolos pour se concentrer exclusivement sur l’horreur et la violence pour lesquelles il était beaucoup plus doué, avant de sombrer dans l’humour involontaire, mais ceci est une autre histoire…

Parmi les points forts de 4 Mouches de velours gris on se souviendra d’une scène de rêve en flash back qui révèle sa signification lors du dénouement sanglant du film : sur une place inondée de soleil, dans un pays du Moyen-Orient, un bourreau va trancher la tête d’un homme au sabre lors d’une exécution publique. La scène évoque la peinture futuriste de De Chirico mais aussi le célèbre flash back traumatique d’Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone, coécrit par Argento et Bertolucci. Chez Argento rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme…

L’autre scène mémorable est évidemment celle qui donne son titre au film : la police scientifique décide de prélever une empreinte de l’œil de la dernière victime du mystérieux tueur afin de découvrir les dernières images enregistrées sur la rétine du cadavre. Il s’agit de quatre taches en forme de mouches…

Le principe de la persistance rétinienne étant à la base même du cinéma, on a le droit de trouver l’idée très belle, en parfaite adéquation avec le projet de Dario Argento : cacher la vérité à l’intérieur d’une image.

A noter que l’on retrouve la même idée dans un film d’horreur anglo-espagnol sorti un an plus tard, Terreur dans le Shanghaï Express de Eugenio Martin, avec Christopher Lee, Peter Cushing et Telly Savalas. Dans cette très sympathique série B le postulat est encore plus délirant et même poétique. Les images recueillies sur la rétine d’une créature simiesque décongelée, des galaxies dans l’univers, amènent à la conclusion suivante : le monstre était un extraterrestre !

 

 

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