Olivier Père

Cannes 2014 Jour 2 : Timbuktu de Abderrahmane Sissako (Compétition)

Le nouveau film d’Abderrahmane Sissako a connu une genèse particulière. Conçu au départ comme un essai documentaire sur la poussée du fondamentalisme islamique dans la région de Tombouctou au Mali, inspiré par l’histoire vraie d’un couple non marié lapidé par les extrémistes qui avait choqué le réalisateur, le projet est devenu durant son écriture et son processus de création un film de fiction, sur les mêmes thèmes. Avec la volonté de prendre ses distances avec le témoignage filmé accablant, Sissako signe avant tout un grand film de cinéma, en prise directe avec la situation politique, mais capable de toutes les libertés et d’une licence poétique qui n’est pas non plus celle des contes immémoriaux auxquels nous a habitué le cinéma africain.

 

Le film raconte l’histoire de Tombouctou pris en otage par une troupe de jihadistes qui impose sa loi par la violence et l’intimidation à une population musulmane déjà respectueuse des préceptes du Coran et qui refuse de s’incliner, adoptant une résistance plus ou moins passive. Sissako montre les extrémistes religieux comme un assortiment hétéroclite de bras cassés, de fanatiques, de types plus ou moins bornés, sincères ou pétris de contradiction, issus d’horizons divers – souvent incapables de se comprendre entre eux car ils ne parlent même pas la même langue et parfois fort mal l’arabe. Cette absence de manichéisme permet de doter les jihadistes d’un visage, d’en faire des personnages de cinéma et pas seulement une masse anonyme, silencieuse et masquée. Leurs commandements peuvent provoquer le rire ou être tournés en dérision par la population, réticente à l’idée de ne plus pouvoir fumer, faire de la musique ou jouer au foot, tandis que les femmes crient leur colère quand on les oblige à porter des gants et des chaussettes dans la rue. L’une des scènes les plus belles et étonnantes du film montre des jeunes jouant au foot sans ballon, pour déjouer la surveillance et les brimades des rondes de Jihadistes. Mais la bêtise et l’absurdité n’ont pas que des conséquences comiques, et Sissako n’occulte rien des châtiments et condamnations à mort – terrible scène de lapidation, point de départ du projet et revient comme un cauchemar à l’intérieur du film – jusqu’à l’issue tragique et bouleversante. Sissako confirme sa position phare de plus grand cinéaste africain, mais surtout de grand cinéaste tout court, avec cette façon très émouvante de capter la beauté là où elle se trouve, dans les visages d’hommes, de femmes et d’enfants, les moments de bonheur et la nature dans toute sa sérénité, insensible à la folie humaine.

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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