Olivier Père

Le Dossier 51 de Michel Deville

Au mois d’octobre, ARTE propose un cycle consacré au cinéma d’espionnage avec La Mort aux trousses de Alfred Hitchcock, Arabesque de Stanley Donen, La Sentinelle de Arnaud Desplechin (sur ARTE.tv), Lust, Caution de Ang Lee, Espion(s) de Nicolas Saada, J. Edgar de Clint Eastwood, Raisons d’état de Robert De Niro… Au milieu de ces titres déjà très différents les uns des autres, un film unique en son genre : Le Dossier 51 (1978) de Michel Deville, diffusé lundi 22 novembre à 23h15, également disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur ARTE.tv. Dans les années 70, un courant paranoïaque et complotiste – un mot qui a changé de camp aujourd’hui – se répand dans le thriller et le cinéma politique grand public. Des « fictions de gauche » utilisent les codes du polar ou de l’enquête journalistique pour dénoncer des abus de pouvoir, des crimes ou des scandales dans les arcanes des institutions d’état. Parmi cette tendance illustrée en France par Costa-Gavras ou Yves Boisset, Le Dossier 51 occupe une place particulière. Ce n’est ni un décalque des grands succès américains, ni un film à thèse dans la tradition européenne. Michel Deville adapte, avec la participation de l’auteur, le roman d’espionnage de Gilles Perrault publié en 1969. Le film comme le livre est constitué de notes, rapports d’interrogatoires, de filatures et d’écoutes de plusieurs équipes de la même mystérieuse organisation, gouvernementale ou privée, dont l’identité n’est jamais précisée. Le but de cette enquête est de dévoiler la moindre zone d’ombre dans la vie d’un diplomate français. La découverte d’informations compromettantes pourrait devenir un moyen de chantage pour le contraindre de transmettre des informations confidentielles. Les différentes techniques employées, des plus banales aux plus sophistiquées (pour l’époque) permettent d’observer les agissements de cet homme, mais aussi de fouiller dans son passé, sa mémoire et même ses sentiments. C’est véritablement au viol d’une conscience, à l’anéantissement de l’intimité d’une personne mise à nu que le spectateur assiste, impuissant et terrifié, jusqu’à la glaçante conclusion. Placée du côté des enquêteurs, la caméra de Deville enregistre avec froideur une procédure bureaucratique où la routine se teinte de cynisme. Des agents portent des noms de code empruntés à la mythologie, ou bien sont désignés par des numéros. Le Dossier 51 est entièrement filmé en caméra subjective, souvent en plan-séquence, en adoptant successivement les points de vue de plusieurs enquêteurs. Adepte des tours de force formels, Deville trouve ici une écriture cinématographique qui retranscrit l’inhumanité d’une machine totalitaire et intrusive, qui porte atteinte aux plus élémentaires libertés individuelles.

Catégories : Sur ARTE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *