ARTE diffuse Un condé (1970) d’Yves Boisset lundi 4 octobre à 20h55. Le film bénéficiera de 60 jours de télévision de rattrapage gratuite, disponible sur ARTE.tv. Troisième film de Boisset, Un condé compte parmi les réussites du réalisateur. Il y transpose son amour du film noir américain dans un contexte très français, celui d’une société en pleine transformation marquée par l’évolution des mœurs et les mouvements contestataires. Avec L’Albatros, Un condé est l’un des premiers films à témoigner, au sein d’un cinéma de genre à la française, de l’héritage dévoyé de mai 68, moment révolutionnaire dont les espoirs déçus vont conduire certains sur le chemin du terrorisme ou du banditisme. Contrairement à Mocky, Boisset n’adopte pas une vision surplombante mais se rallie à un cinéma de gauche, prompt à dénoncer la violence d’état et les failles des institutions. Un condé exprime un sentiment hostile à l’autorité en général à la police en particulier largement répandu parmi une frange de la population française après les grèves générales de mai 68. On retrouve cette tendance dans d’autres films français comme Les Aveux les plus doux d’Édouard Molinaro ou Les Assassins de l’ordre de Marcel Carné (actuellement sur ARTE.tv), tous deux sortis en 1971. Cette défiance ne n’exprime pas chez Boisset sous la forme d’un pamphlet, mais d’une classique histoire de vengeance et de règlements de compte entre flics et gangsters. L’alibi du polar n’empêchera pas Un condé de provoquer la colère du ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, qui va batailler avec acharnement pour que le film de Boisset soit interdit de projection. Il n’y parviendra pas, désavoué par une commission de censure beaucoup plus clémente, mais réussira quand même à faire couper deux séquences (au lieu des dix-huit minutes demandées) montrant un homme torse nu et ensanglanté, suspendu par des menottes à un tuyau de plomberie, après un interrogatoire musclé dans un commissariat. La scène devra être retournée, avec le même acteur habillé, le visage moins contusionné. Ces images, inacceptables pour le ministre et les syndicats de policiers, laissaient entendre que la police française employait dans ses locaux des méthodes proches de la torture pour faire parler les suspects. La condamnation des violences policières ne se limite pas à ce passage du film. Lorsque l’inspecteur Favenin (Michel Bouquet) se rend chez un marginal gauchiste, interprété par Rufus, et le tabasse pour lui extorquer des renseignements, ce dernier déclare à son jeune fils, témoin involontaire de la scène : « regarde bien et n’oublie jamais, tu vois c’est ça un flic ».
Film de son temps, celui de la révision des mythes, Un condé propose ainsi une modernisation des personnages archétypaux du polar. Le grand méchant de l’histoire est un promoteur immobilier aux ambitions politiques à la tête d’un vaste réseau de racket, d’extorsion et de trafic de drogue. Ses sbires sont des voyous sadiques et fascistes. Le commissaire principal, représentant des élites au sommet du pouvoir, est totalement corrompu. La seule figure héroïque du film est un ancien truand qui agit par amitié, loyauté et sens de l’honneur, pris malgré lui dans un engrenage fatal. Quant au « condé », magistralement interprété par Michel Bouquet, il prend le visage d’un monstre froid obsédé par la vengeance (son collègue a été tué lors d’une intervention, à cause de son propre zèle), capable de transgresser la loi pour arriver à ses fins. La caractérisation de ce personnage atténue la charge anti-flics du film. Favenin n’est pas représentatif de la police, ni d’un courant politique au sein des agents de l’ordre. Sa croisade est individuelle et prend l’allure d’un ultime baroud suicidaire, davantage qu’une mission purificatrice. Véritable psychopathe ayant franchi la ligne entre raison et folie, Favenin annonce l’inspecteur incarné par Michel Piccoli dans Max et les ferrailleurs (1971) de Claude Sautet, film beaucoup moins connoté politiquement que celui de Boisset. Après avoir adapté Giorgio Scerbanenco (Vénus privée) avec Cran d’arrêt, le cinéaste français porte à l’écran un roman de Pierre Lesou, écrivain de la « Série noire » célèbre pour avoir inspiré le Doulos à Jean-Pierre Melville.
La distribution du film, coproduction franco-italienne oblige, donne à Un condé un petit parfum de « poliziesco » (néo-polar italien) puisque Gianni Garko y croise Bernard Fresson, Adolfo Celi y donne la réplique à Michel Bouquet. Cela confère au film un charme « bis » que ne possèdent pas toujours les œuvres plus dramatiques et ouvertement engagées de Boisset.
Un condé a été édité en Blu-ray par ESC, dans la collection « Polar ».
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