Olivier Père

Blow Out de Brian De Palma

Blow Out (1981) est diffusé dimanche 19 mars à 20h50 sur ARTE, en version restaurée. C’est sans doute le plus beau film de Brian De Palma, son chef-d’œuvre.

John Travolta dans Blow Out © MGM

John Travolta dans Blow Out
© MGM

De Palma a construit son œuvre sur l’idée de morceau de bravoure : la scène de bal dans Carrie, le meurtre dans l’ascenseur de Pulsions, l’explosion organique de Furie ou le carnage final de Scarface, la poursuite de L’Impasse, le cambriolage acrobatique de Mission : impossible… Autant de scènes qui reposent sur des prouesses techniques et parviennent à plonger le spectateur consentant dans un état proche du ravissement, voire de l’orgasme oculaire. Blow Out est un peu différent dans la mesure où le film tout entier est un morceau de bravoure (tout y est pure mise en scène). Il s’agit en effet de construire un film autour de quelque chose qui par définition n’est pas visuel, à savoir un son. Mais c’est bien sûr l’association d’une image et d’un son (donc aussi du temps) qui crée le cinéma. Ce sont toujours les mouvements de caméra, jamais aussi gratuits qu’on a voulu le croire, qui racontent l’histoire des films de De Palma. Une assertion vraie pour la plupart des grands cinéastes, mais qui s’impose chez De Palma avec tant d’exubérance qu’elle a longtemps passé pour de l’esbroufe et de la virtuosité gratuite. Le style de De Palma n’entretient qu’un rapport superficiel avec Hitchcock (un goût certain pour la brillance et les plans longs). De Palma est visiblement fasciné par le mélange de sophistication et de trivialité qu’on trouve déjà chez Robert Aldrich, auquel il emprunte l’utilisation du split screen, écran scindé qui permet de suivre plusieurs actions simultanément, outil privilégié d’une esthétique de l’éclatement chère à De Palma (et qui trouve son accomplissement dans Blow Out, qui ne raconte rien d’autre que les conséquences de l’éclatement d’un pneu.) On pourrait également citer Powell, Godard et Antonioni parmi les influences aussi évidentes que Hitchcock, particulièrement évidentes dans Blow Out qui prend Blow Up comme point de départ (en remplaçant une photo par un son). Les films de De Palma, comme ceux de Sergio Leone, sont conçus pour être vus et revus par un public captif. D’où ce goût pour les scènes chocs et les dispositifs complexes que le spectateur est invité à savourer mais aussi disséquer au prix de nombreuses visions. De Palma aime alterner les passages paroxystiques de violence ou d’émotion avec de longues plages d’attente, musicales et silencieuses, qui sont souvent des scènes de filature ou de voyeurisme. On touche là évidemment à la fameuse inspiration hitchcockienne du cinéaste, qui a réalisé une série de films (de Sœurs de sang à Body Double) qui se présentent comme des variations maniéristes, entre pastiche et relecture postmoderniste, autour des chefs-d’œuvre d’Alfred Hitchcock. Ce projet absolument passionnant et unique a été longtemps incompris, sanctionné d’une accusation stupide de plagiat. De Palma a étudié la grammaire hitchcockienne pour créer une œuvre originale, un cinéma qui prend ses racines dans l’effervescence créatrice et libertaire des années 60 pour ensuite évoluer vers un cinéma narratif qui a su intégrer aux codes du thriller certaines formes expérimentales. De Palma ne cite pas que Hitchcock, il intègre sa connaissance de l’Histoire du cinéma à ses propres films, et envisage son travail de cinéaste comme une réappropriation de certains titres matriciels. Il « refait » à sa manière Vertigo avec Obsession, Fenêtre sur cour avec Body Double, mais aussi Scarface avec son remake de 1983 et Blow Up avec Blow Out, mais sans jamais copier la mise en scène de ses illustres prédécesseurs. Blow Out emprunte en effet une idée cinématographique à Blow Up (en y ajoutant la névrose traumatique et le sentiment de culpabilité chers au cinéaste d’Obsession), mais il saute aux yeux que De Palma vise autre chose. Il est d’emblée dans la position de celui qui vient après. Ses films sont plus ou moins analytiques (Pulsions) ou cérébraux (L’Esprit de Caïn), mais c’est lorsqu’il parvient à concilier la théorie des images et les situations les plus mélodramatiques que De Palma signe ses meilleurs films. Blow Out propose une réflexion passionnante sur les images et les sons (De Palma sait que les plus grands films ont pour sujet le cinéma) mais nous arrache les larmes à chaque nouvelle vision, véritables opéra du pauvre où De Palma ose nous embarquer dans l’histoire d’un pauvre type qui tombe amoureux d’une pute au grand cœur et provoquera sa mort après lui avoir sauvé la vie une première fois. C’est cette dimension de romantisme dégradée, de lyrisme malade, qui a d’abord séduit chez De Palma. Blow Out appartient à la veine sentimentale de De Palma. C’est un faux film de complot et vrai film d’amour braque. Chef-d’œuvre, et échec total au box-office. De Palma déçu par la réception d’un film qui est à la fois un mélodrame et un constat désenchanté sur la fin des illusions politiques va entrer dans sa période cynique avec Scarface, nouvelle version monstrueuse et jouissive du classique de Hawks. Il enchaînera avec le très pervers Body Double, étude sur le corps au cinéma et enterrement de sa fixation hitchcockienne à la sauce gore et porno.

Nancy Allen et John Travolta dans Blow Out © MGM

Nancy Allen dans Blow Out
© MGM

Nancy Allen et John Travolta dans Blow Out
© MGM

Nancy Allen et John Travolta dans Blow Out © MGM

John Travolta et Nancy Allen dans Blow Out
© MGM

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