Olivier Père

Le Masque arraché de David Miller

Rimini éditions propose en DVD une perle du film noir, trop rarement commentée et injustement oubliée : Le Masque arraché (Sudden Fear, 1952), production indépendante réalisée par David Miller, avec Joan Crawford (photo en tête de texte), Jack Palance et Gloria Grahame.

Au début des années 50 la star Joan Crawford n’est plus la déesse des studios MGM et Warner. Elle cherche à raviver son étoile pâlissante dans des films capables de lui offrir des rôles de femmes mûres mais encore désirée, et désirante, en couple avec des hommes plus jeunes qu’elle. Le chef-d’œuvre méconnu de cette période ingrate de sa carrière est sans doute Feuilles d’automne (1956) de Robert Aldrich, mais Le Masque arraché se révèle une excellente surprise. Joan Crawford y interprète Myra Hudson une dramaturge à succès, riche et célèbre, mais sentimentalement esseulée, qui tombe amoureuse d’un acteur qu’elle avait renvoyé des répétitions sa dernière pièce à Broadway. Le jeune couple se marie et s’installe à San Francisco. Grâce à un magnétophone installé dans son bureau et laissé branché par inadvertance, Myra découvre en écoutant la bande que son mari ourdit avec la complicité de sa maîtresse une machination pour se débarrasser d’elle et hériter de sa fortune. L’homme qui lui a permis de redevenir une femme est aussi celui qui va tenter de l’assassiner, et Myra n’a personne avec qui partager son secret.

Le Masque arraché, avec son histoire cruelle aux multiples rebondissements, met en scène l’inquiétude de la star, consciente du déclin de son pouvoir de séduction et de son érotisme. C’est le cauchemar d’une femme mûre qui voit un homme plus jeune qu’elle la trahir, et qui prépare sa vengeance. Le mari maléfique est interprété par Jack Palance. Sans doute le titre français fait-il référence au visage de l’acteur, véritable masque tour à tour viril et effrayant. Gloria Grahame, dans le rôle de sa maîtresse, possède une sensualité un peu perverse qui s’oppose à la dureté des traits de Crawford. Le visage de Crawford tordu dans des grimaces de terreur, typique du jeu hyper expressif de l’actrice, évoque lui aussi un masque de souffrance et de déception. Le Masque arraché annonce le basculement dix ans plus tard de la filmographie de Joan Crawford dans l’horreur pure et le Grand-Guignol avec Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, où elle sera une nouvelle fois une victime persécutée, martyrisée dans son âme et sa chair. Le masochisme de la star déchue atteindra une phase terminale avec sa reconversion forcée dans des films fantastiques de série B. En attendant, Le Masque arraché est loin d’être un film décadent. Le jeune François Truffaut lui consacra un article enthousiaste (son premier publié dans Les Cahiers du Cinéma) dans lequel il louait la mise en scène inventive de David Miller, le réalisateur trop discret et sous-estimé de Seuls sont les indomptés. Le Masque arraché contient de nombreux morceaux de bravoure et de suspens, et propose une belle utilisation des décors naturels de San Francisco. De son début sentimental à sa conclusion frénétique, le film ne possède aucun temps mort, croisement original entre le « woman’s picture » à l’eau de rose et le thriller noir comme l’encre.

Jack Palance et Joan Crawford dans Le Masque arraché

Jack Palance et Joan Crawford dans Le Masque arraché

 

 

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