Olivier Père

M de Joseph Losey

Sidonis vient d’éditer en blu-ray M (1951) de Joseph Losey : une bonne action qui permet de redécouvrir et de réévaluer un film rare et très sous-estimé dans l’œuvre de Joseph Losey. M est le troisième des cinq longs métrages réalisés par Losey aux Etats-Unis, entre 1947 et 1951, avant son exil forcé vers l’Europe, causé par le Maccarthysme. Quatre de ses cinq titres sont des films noir, genre auquel appartient M. Le film de Losey a longtemps pâti de son statut de remake d’un immense classique de l’histoire du cinéma, M le maudit réalisé en Allemagne vingt ans plus tôt par Fritz Lang. Losey lui-même n’accepta qu’à contrecœur cette proposition du producteur Harold Nebenzal, le fils de Seymour Nebenzal qui avait produit le film original. Losey avait besoin de travailler à une époque où il commençait à être inquiété par la commission des activités anti-américaines. M reprend avec fidélité le scénario et les principales séquences du film de Lang mais la transposition de l’histoire dans le Los Angeles des années 50 apporte un éclairage nouveau à la traque du tueur d’enfants. Contrairement à Lang, Losey tourne son film en décors naturels, tirant le maximum de profit des ambiances urbaines des quartiers populaires de Los Angeles. Rues anonymes, chambres d’hôtels, parkings, galeries commerciales constituent les espaces, à la fois triviaux et stylisés, brillamment mis en scène, de cette tragédie moderne. Le climat d’hystérie collective et de lynchage provoqué par la menace invisible du tueur d’enfants évoque la sinistre « chasse aux sorcières » menée par les agents gouvernementaux contre les communistes américains et autres sympathisants de gauche. Losey choisit de faire du meurtrier un schizophrène à l’allure de monsieur tout le monde, silhouette banale noyée dans la foule à la différence de la caractérisation monstrueuse et géniale imposée par Peter Lorre dans le film de Lang. Cela n’empêche pas David Wayne d’être remarquable, bien entouré par une pléiade d’excellents comédiens, souvent issus du de la scène théâtrale comme Losey. Il est difficile d’échapper au jeu des comparaisons, et pourtant M de Losey est un grand film, un des meilleurs de la période américaine de son auteur, au-delà de son statut ingrat de remake et de commande. A l’instar des autres « noir » de Losey c’est un film sec et tendu, aux résonnances politiques évidentes, mais qui ne sacrifie jamais au discours l’action et la dramaturgie. Une leçon de mise en scène, tout simplement. Le film possède toutes les qualités cinématographiques vantées par les cinéphiles macmahoniens qui avaient élu Losey dans leur « carré d’as » aux côtés de Walsh, Preminger et… Lang !

 

M de Joseph Losey est aussi ressorti en salles le 17 février, distribué par Tamasa.

 

 

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