Olivier Père

Abel Ferrara parle de Welcome to New York et de Pasolini

L’événement off et le scandale annoncé de ce Festival de Cannes, c’est la projection au Marché du Film de Welcome to New York d’Abel Ferrara inspiré de l’affaire DSK (que nous n’avons pas encore vu à l’heure où nous écrivons ces lignes.) Le film sera disponible en VOD simultanément à sa première projection publique cannoise. ARTE France Cinéma accompagne Abel Ferrara depuis plus d’un an sur un autre projet, déjà tourné, sur le dernier jour du cinéaste et poète italien Pier Paolo Pasolini, coproduit par la société française Capricci. Abel Ferrara a bénéficié du concours financier de la région Aquitaine dans le sud-ouest de la France c’est la raison pour laquelle il a monté à Bordeaux ce nouveau film.

Il était mercredi 30 avril au cinéma Jean Eustache de la ville Pessac qui organisait une master class Abel Ferrara devant des étudiants de cinéma et des spectateurs, animée par le critique Stéphane Goudet au cours de laquelle le cinéaste a longuement parlé de sa vision du cinéma, de la création et plus particulièrement de des deux derniers films en date, Welcome to New York et Pasolini, le premier étant sur le point d’être dévoilé aujourd’hui en VOD pendant le Festival de Cannes et le second en cours de finition.

Mais il est évident que ces deux films, qui suivent deux autres, Go Go Tales et 4 :44 Dernier Jours sur terre continuent de creuser une veine autobiographique avec des tableaux de souffrance et d’addiction de Ferrara en joueur, en artiste, en politicien, en cinéaste…

 

Stéphane Goudet a souligné que ces deux derniers films, tournés l’un après l’autre, Welcome to New York et Pasolini, pouvaient être vus comme un diptyque, avec une dimension d’autoportrait – désir de cinéma de PPP, aventure humaine de DSK, et la passion qui bascule dans l’autodestruction dans les deux cas, avec la mise en parallèle de deux personnages réels mais aussi de deux mythes, l’un du cinéma moderne, l’autre de l’époque contemporaine.

Abel Ferrara était accompagné par son monteur Fabio Nunziata (Pasolini, Go Go Tales) et son scénariste napolitain Maurizio Braucci (Napoli Napoli, Napoli, mais aussi Gomorra et Reality de Matteo Garrone), qui a écrit le scénario de Pasolini avec lui et a précisé l’idée de départ du film :

« Comment la vie d’un homme, Pasolini dans ce cas, peut se résumer dans une seule journée. Le film débute par le réveil de Pasolini, comme une naissance, et se termine par sa mort. Un jour est une vie, il commence et débute par la nuit. Le dernier jour d’un homme est très spécial dans sa vie. C’est ce que nous avons voulu raconter avec Pasolini. »

 

Ferrara parle à bâtons rompus de Welcome to New York et Pasolini, autoportraits sans doute mais rencontres avec des acteurs et aventures collectives surtout :

 

« Quand nous avons décidé faire un film sur Pasolini nous pensions que c’était une super idée. Mais quand nous sommes parti à la recherche de financements nous avons d’abord entendu « qui est Pasolini ? », « ça intéresse qui ? » Et bien nous ça nous intéresse, et ARTE aussi, heureusement.

 

Pasolini compte énormément pour moi en tant qu’artiste, réalisateur et aussi figure intellectuelle issue d’un pays avec une tradition culturelle et critique très riche, où les films étaient pris au sérieux et considérés comme importants.

Willem Dafoe interprète Pasolini mais il n’est pas italien et ne parle pas italien. Il joue avec des comédiens italiens et dans le film nous avons essayé de dépasser les frontières linguistiques, comme dans Welcome to New York d’ailleurs où Gérard Depardieu parle à la fois en français et en anglais. Le langage cinématographique se situe au-delà des mots. La scène de la douche de Psychose terrifie les spectateurs du Texas, du Japon ou de Moscou exactement de la même façon. Quand j’avais cinq ans je suis allé au cinéma pour la première fois, c’était pour voir Bambi. C’est là que j’ai appris ce que c’était que le langage du cinéma, j’étais mort de trouille et bouleversé.

Pasolini disait qu’il préférait écrire plutôt que parler.

 

Je ne suis pas le genre de réalisateurs comme Roman Polanski ou Michael Mann qui pensent qu’ils sont les meilleurs caméramans, les meilleurs ingénieurs du son, les meilleurs acteurs pourquoi pas, etc. Le tournage d’un film est un travail collectif, j’ai besoin de trouver la bonne équipe qui puisse m’aider à exprimer mes idées, un scénariste pour écrire le film, des acteurs pour incarner les personnages, et des producteurs pour le financer.

C’est ma mère qui a produit mon premier film, et j’en suis très fier. Si vous n’êtes pas capable de convaincre votre mère de financer votre film, vous pouvez changer de métier tout de suite.

 

Ma méthode consiste à consacrer beaucoup de temps aux acteurs, de préparer le film avec eux. J’ai eu la chance de travailler avec de très grands acteurs qui m’ont beaucoup aidés : Harvey Keitel, Christopher Walken, Willem Dafoe et maintenant Gérard Depardieu. Chaque fois le film nait grâce à l’acteur. Je n’aurai jamais fait Pasolini si Willem avait dit non, je n’aurai jamais fait un film sur DSK (rebaptisé Devereaux dans Welcome to New York, ndr) sans Gérard. Avant même d’avoir un scénario je suis allé les voir pour leur demander : « veux-tu jouer ce rôle ? » Si Willem n’avait pas aimé mon idée de faire un film sur Pasolini avec lui, le projet était mort.

 

Willem je le connaissais on avait déjà fait trois films ensemble. Je n’avais jamais rencontré Gérard Depardieu avant qu’on asseye à une table pour discuter du projet, et l’idée d’interpréter DSK. C’est à ce moment que j’ai compris que le film que nous allions faire ne serait pas sur DSK, mais sur Gérard, comme mon film suivant n’est pas sur Pasolini, mais sur Willem. Ou plutôt sur mon désir de les filmer tous les deux, et de faire un film ensemble.

 

J’avais eu tellement de problèmes avec l’industrie du cinéma que j’avais décidé de faire 4 :44 Last Day on Earth avec absolument rien, j’étais prêt à le tourner avec un téléphone portable et ma copine, chez moi. Et j’aurai joué moi-même le rôle principal. Dieu merci Willem a accepté de le faire !

J’adore la citation de Polanski qui a dit : «  Quand on veut vraiment tourner un film, la dernière chose à faire c’est de s’asseoir dans un café pour en discuter. » Si tu veux le faire, passe à l’action !

 

Pour faire un film tu as besoin d’acteurs, à moins de faire un film en 3D ou un dessin animé (mais là tu as quand même besoin de leur voix.) Tu ne peux pas te passer des acteurs, c’est eux qui vont être les corps dans ton film, mais aussi ceux qui vont partager les désirs et les passions du réalisateur, de l’écriture au tournage. Willem a tourné dans mes films pour presque rien, Gérard aussi. En fait c’est lui qui a amené de l’argent pour produire Welcome to New York. C’est vraiment le genre d’acteurs que j’aime !

 

Pour Pasolini et Welcome to New York nous avons fait énormément de recherches lors de la préparation de ces deux films. Pour Pasolini nous avons interviewé tout le monde. Je cite Pasolini, « je ne suis pas un détective, je ne suis pas un journaliste, encore moins un voyant. » Pasolini et Welcome to New York ne sont pas des documentaires. La vérité, c’est qu’on ne peut pas connaître la vérité, parce qu’elle change tous les jours. Pourquoi Pasolini est mort, que s’est-il passé sur la plage d’Ostie ? Que s’est-il passé dans la chambre du Sofitel ?

Je peux vous dire que Gérard Depardieu n’en avait rien à foutre de Dominique Strauss-Kahn, ni de son histoire. Il trouvait le scénario sans intérêt. Il voulait parler du Roi Lear, pas de DSK. Donc notre année de recherches pour écrire le script n’a servi à rien, on l’a jeté par la fenêtre.

Gérard n’a pas voulu faire de répétitions, il était prêt. Gérard a fait plus de 200 films, sa technique est extraordinaire, il était Strauss-Kahn en une seconde. Il n’apprend pas ses dialogues donc plutôt que d’avoir une oreillette les murs étaient tapissés de feuilles de papier géantes avec son texte dessus ! Son énergie a apporté la vérité du film. Le film devient un film sur lui et sur son implication dans le projet. Gérard était toujours présent, le premier arrivé et le dernier parti sur le plateau.

 

Pourquoi faire un film sur Pasolini est la question la plus stupide qu’on puisse me poser. Cela saute aux yeux. Il suffit de regarder une minute de n’importe lequel de ses films. J’ai revu Le Décaméron il n’y a pas longtemps. J’ai été de nouveau ébloui par la passion et la liberté qu’on trouve dans ce film.

On avait rassemblé 3000 pages de documentation sur Pasolini. Quand il est mort il venait de terminer un film extraordinaire et il avait déjà deux scénarios prêts à tourner, des romans inachevés.

Pasolini n’a jamais levé une seule fois la voix sur le tournage de Salò, moi sur mes films je passe mon temps à hurler et à insulter tout le monde. Le pouvoir absolu corrompt absolument. Sur un tournage vous pouvez devenir un animal. Lui non. La passion de Pasolini est indissociable de sa compassion. La première chose qu’il disait quand il rencontrait quelqu’un était « comment allez-vous ? » c’est ça que je voudrais être.

Quant à l’autre type, Strauss-Kahn – enfin tel qu’on le voit dans le film – ce n’est pas vraiment la même chose. Mais avec Gérard on avait de l’empathie pour lui. Je sais ce que c’est de mal se comporter avec les femmes, de se servir de son pouvoir pour parvenir à ses fins. Mais au bout du compte, quand une femme vous dit non, c’est non. Il ne faut pas franchir la ligne. Dans quel état d’esprit il était ce jour-là, Gérard le sait mieux que quiconque. Le film Welcome to New York commence par une interview de Gérard Depardieu. Cela faisait partie du processus de travail de poser des questions à Gérard sur DSK. Au départ on aurait pu l’utiliser pour la promotion du film. Mais sur la table de montage il est devenu évident qu’il fallait l’intégrer au film, car les réponses de Gérard étaient très puissantes. Une fois de plus ce n’est pas un film sur DSK mais sur Gérard Depardieu en train de jouer DSK, de produire le film, de collaborer à la réalisation du film.

 

La tragédie de Pasolini, comme celle Garcia Lorca, ce que celui qui dit la vérité doit mourir. Le poète doit mourir. Sa parole, sa poésie étaient trop puissantes, elles étaient insupportables pour certaines personnes. Le destin de Pasolini l’a conduit sur cette plage. Sa vie devait s’arrêter là. En tant qu’ancien alcoolique et ancien toxicomane, je sais que ma vie aurait du s’arrêter en prison ou à la morgue. Je suis un miraculé. Pasolini, lui est mort assassiné à 53 ans, à l’apogée de sa vie et de son talent. La tragédie de Pasolini a été cette interruption, tous les grands films qu’il n’a pas pu faire, la poésie et la philosophie qu’il n’a pas pu écrire, avec son pays qui est allé au plus profond de l’horrible direction qu’il avait prédite. Sa mort a changé le monde. Il y a peu de gens dont on puisse dire la même chose.

Qui est l’idiot qui a dit que mes films parlaient de rédemption ? Ils sont plutôt sur l’impossibilité de la rédemption. Pasolini et Welcome to New York sont des chants du cygne sur l’absence de rédemption. C’est comme le bad lieutenant qui meurt à la fin aussi fou et défoncé qu’au début du film. Pareil pour DSK, qui blasphème, accuse dieu, sa femme, sa mère. Le personnage refuse de se regarder dans un miroir.

Avec Strauss-Kahn, comme avec les autres personnages de mes films d’ailleurs, il n’y a aucune rédemption possible. Il ne s’est jamais excusé que je sache. Il est ce qu’il est. Sa carrière et son mariage ont été détruits.

Pour Welcome to New York j’ai eu besoin de tourner dans l’hôtel Sofitel, dans la prison, dans la maison où DSK a vécu, on sentait les vibrations, les fantômes existent dans ce genre d’affaires.

Même chose pour Pasolini, on a tourné dans le restaurant où il a pris son dernier repas, avec le même type qui lui a servi à manger.

 

Pasolini est mort pour de nombreuses raisons. La première est son absence totale de compromission, son intégrité et sa liberté absolue. Tout son travail, sa poésie parlaient de cela. Il faisait ses films exactement comme il en avait envie. Si des gens les trouvaient bizarres, tant pis. Il se fichait des intimidations, des persécutions, des procès. Il faisait ce qu’il voulait. Et ce qui compte le plus pour moi, en tant que réalisateur, c’est de posséder le « final cut » et de faire exactement les films que je veux, comme je veux. Si tu fais un film, tu dois le défendre comme ta propre vie. »

 

 

 

 

 

 

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