Moonriver Entertainment ressort aujourd’hui en salles et en copies neuves Scarface (1932) de Howard Hawks, sans grande controverse le meilleur – et le plus violent – film de gangsters des années 30. Cette réussite éblouissante est le résultat de l’association de trois fortes personnalités du cinéma américain de l’époque. Le producteur Howard Hugues, qui permit l’aboutissement de ce projet audacieux en toute liberté et en toute indépendance, le scénariste Ben Hecht, qui développa une matière journalistique (Al Capone comme modèle transparent de scarface) en établissant un curieux parallèle entre l’histoire du gangster et celles des Borgia (intrigues, meurtres, prises de pouvoir et même inceste et folie) et enfin Hawks, qui abordait de façon extrêmement brillante sa carrières parlante et signe avec Scarface un de ses films les plus virtuoses. Hawks se fera un honneur par la suite d’utiliser avec parcimonie et davantage de discrétion la virtuosité technique dont il savait faire preuve dès ses premiers films. Scarface s’ouvre en effet sur un fameux plan séquence et est fortement marqué par l’expressionnisme et les jeux d’ombres et de lumières, comme la majorité des grands films hollywoodiens de cette époque. En revanche, Hawks est déjà affranchi de toute théâtralité et de la psychologie. Muni et se acolytes s’expriment uniquement par l’action et la violence, en bons héros hawksiens. Ou plutôt en mauvais anti héros.
Scarface représente l’archétype du film de gangsters, en même temps qu’une œuvre curieusement atypique dans l’œuvre de Hawks, même si ce dernier le citait souvent comme son film préféré. Cinéaste de l’intelligence, Hawks filme un monde peuplé de tarés et de débiles mentaux. Muni en tête, gorille psychopathe, qui meurt dans un accès de veulerie ; sa sœur, nymphomane qui finira par répondre à l’amour incestueux que lui voue son frère ; ses acolytes irrécupérables (parmi lesquels un analphabète qui ne sait pas répondre au téléphone, célèbre « running gag » du film.) Les gangsters de Hawks sont bêtes et méchants comme des gamins mal élevés, répondent aveuglement à des pulsions de plaisir et de mort incontrôlables. Scarface est un monument de régression infantile, vingt ans avant que Hawks n’en fasse le sujet d’une de ses comédies (Chérie, je me sens rajeunir.) Si les personnages de Hawks vont s’assagir et vieillir en même temps que lui, son style visuel va également s’épurer. La mise en scène de Scarface est déjà un modèle de sécheresse et de précision, mais on est surpris par l’insistance de motifs symboliques comme les fameuses croix qui barrent régulièrement l’écran, marques infâmes condamnant les agissements crapuleux des protagonistes. Malgré le regard très sévère et moqueur Hawks et de son scénariste sur le gangstérisme, le film fut victime de la censure qui exigea quelques scènes digressives, un sous-titre on ne peut plus clair (« shame of a nation ») et un carton moralisateur plaqués. Bref un chef-d’œuvre, mais également un film paradoxalement peu hawksien dans la filmographie de Hawks. Pas étonnant, dès lors, que De Palma, cinéaste pas hawksien pour un sou, réalise en 1983 un remake de Scarface, un nouveau film génial nettement plus controversé que son modèle. Mais ceci est une autre histoire.
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