Olivier Père

Trafic de Jacques Tati

Monsieur Hulot, dessinateur pour un petit constructeur automobile, est chargé d’acheminer vers le salon de l’Auto qui se tient à Amsterdam le nouveau modèle de la firme, un camping-car révolutionnaire bourré de gadgets. Mais la route est semée d’embûches et le convoi arrivera trop tard à destination. Réalisé après le grave échec public de son chef-d’œuvre Playtime, Trafic est le dernier film de cinéma de Jacques Tati, qui renoue superficiellement (et pour des raisons commerciales) avec le personnage de Monsieur Hulot qu’il avait délaissé (ou plutôt dilué) au milieu de la foule anonyme de Playtime. Cette satire de la domination automobile marque l’accomplissement d’un burlesque expérimental qui n’appartient qu’à Tati. Le tournage en décors naturels – budget oblige – permet au cinéaste de revenir vers un comique d’observation plus spontané. Mais Tati ne renonce pas pour autant à ses recherches obstinées sur l’image, la couleur et le son. Les gags purement graphiques touchent à la perfection, de même que les fameuses inventions linguistiques. Seul hic de ce « Tati-World » qui a tant impressionné des auteurs aussi différents que David Lynch et Otar Iosseliani : les gags atteignent une telle poésie visuelle et musicale qu’on en oublie presque de rire. Il est vrai qu’en 1971 le cinéaste, trop lucide, n’avait plus le cœur à la rigolade. L’art de Tati, supérieurement élaboré, n’oublie pas de rester à l’écoute du monde. Trafic est, d’une certaine manière, un documentaire alarmant sur une société qui n’existait pas encore au moment de son tournage.

Tati, créateur de formes et expérimentateur d’un comique autant sonore que visuel, a toujours été un cas à part dans le cinéma français, à l’instar d’un Robert Bresson ou d’un Jean Cocteau. Ce franc-tireur a cependant participé à la gloire de la comédie française avec des succès commerciaux et artistiques éclatants comme Jour de fête, Les Vacances de Monsieur Hulot ou Mon oncle, symbolisant la dimension la plus ambitieuse d’un genre populaire qui a depuis toujours drainé le public en masse dans les salles obscures.

Christophe Geudin et Jérémie Imbert ont consacré un excellent ouvrage sur « les comédies à la française » aux éditions Fetjaine, écrit avec beaucoup d’érudition et de passion pour ce genre souvent négligé par la critique, que j’ai lu avec beaucoup de plaisir. De l’après-guerre à nos jours, on y retrouve Jacques Tati bien sûr mais aussi Pierre Etaix, Sacha Guitry, Jean-Pierre Mocky, Jean Yanne, Pascal Thomas, Emmanuel Mouret et les nombreux artisans de la comédie tricolore, de Jean Dréville à Michel Hazanavicius, sans oublier les stars du box-office (de Funès, Fernandel, Bourvil, Pierre Richard et les autres…) qui continuent de faire rire des millions de spectateurs et téléspectateurs.

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