Olivier Père

Cannes 2014 Jour 3 : Amour fou de Jessica Hausner (Un Certain Regard)

Il s’agit sans doute du meilleur film de la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner qui raconte l’étrange projet de Heinrich von Kleist, que découvriront avec stupéfaction les spectateurs néophytes ne connaissant pas dans les détails les circonstances de la mort de l’écrivain allemand, suicidé à l’âge de 34 ans, le 21 novembre 1811 à Berlin. Frappé par une longue et lourde dépression, ne trouvant aucun motif de satisfaction dans la haute société à laquelle il appartient mais qui le méprise en raison des échecs et de la mauvaise réception de ses œuvres, livrées à l’incompréhension et à la moquerie, Kleist souhaite mettre fin à sa pathétique existence. Il demande à sa cousine Marie, dont il est amoureux, de l’accompagner dans la mort. Devant le refus de la jeune femme, il réitère sa proposition auprès d’Henriette, femme mariée et mère d’une petite fille, qui lui a fait par de son admiration pour « La Marquise d’O », roman qui a enflammé son esprit, lors d’une soirée mondaine.

 

 

On cherche ce qui fascine le plus dans le film de Jessica Hausner, la détermination aveugle de Kleist à mourir en galante compagnie, ou le trouble et la tentation d’Henriette, prête à renoncer à sa paisible et heureuse vie de famille pour des noces funèbres avec un poète maudit au physique amorphe. Cette demande en suicide – comme une demande en mariage – provoque en elle un état maladif qui inspirera plusieurs erreurs de diagnostics de la part des médecins consultés, mais elle déclenche aussi une forme d’exaltation romantique. Interpellée au plus profond d’elle même par l’étrange situation inventée par Kleist dans « La Marquise d’O », et commentée au début du film, Henriette s’imagine à son tour en héroïne confrontée à un dilemme à la fois tragique et absurde. Adepte d’une forme de distance critique, Jessica Hausner questionne le romantisme d’un tel acte, en décrivant Kleist comme un monstre froid et sinistre, dépourvu de passion. Ce pacte de mort se déroule en cachette entre les deux âmes sœurs tandis que l’aristocratie allemande s’inquiète de la mise en danger de ses privilèges, contrainte à devoir payer des impôts, et de l’influence des idées révolutionnaires importées de France. Avec ses cadres fixes – pas un seul mouvement de caméra durant tout le film – la mise en scène de Hausner retranscrit parfaitement l’immobilité étouffante et l’apathie de la haute société du début du XIXème siècle, engoncée dans ses principes rigides et dans une glaciation émotionnelle à peine modérée par les récitals et la musique. Un film mystérieux qui vous hante durablement, porté par des images et une langue d’une beauté inhabituelle, et une interprétation de très haut niveau.

 

 

 

 

 

 

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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