Olivier Père

Cannes 2021 Jour 2 : Onoda – 10 000 nuits dans la jungle de Arthur Harari (Un Certain Regard, film d’ouverture)

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle raconte une histoire suffisamment folle pour être vraie. Sa véracité ne l’a pas empêcher d’accéder au Japon au statut de légende, mais une légende chargée de mauvaise conscience au point de devenir taboue. L’histoire d’Onoda vient rappeler le fanatisme qui conduisit certains militaires japonais à prendre des décisions extrêmes qui échappent à la raison. Se transformer en kamikaze ou choisir de continuer le combat bien après la défaite. En 1944, le jeune soldat japonais Hiroo Onoda est envoyé sur une petite île philippine où vont débarquer les Américains. Sa mission est de mener la guérilla jusqu’au retour des troupes nippones. Refusant la réalité de la capitulation du Japon, Onoda ne rendra les armes que 10 000 jours plus tard. « Film d’action sans action, film de guerre sans guerre » dixit son réalisateur, Onoda aurait pu donner naissance à un trip immobile et halluciné, ou à une épopée de l’inutile entre les mains d’un Werner Herzog. Il n’en est rien. Si le film n’est pas exempt d’une dimension psychanalytique (il s’agit pour Onoda de s’extraire de l’emprise d’un père autoritaire pour obéir aveuglement à une nouvelle figure paternelle, son chef instructeur), il se caractérise par son approche concrète et réaliste, son refus de l’esbroufe. La conception téméraire de ce film hors-normes, profondément atypique en termes de production, ne cherche pas à faire déborder le résultat du côté du grand spectacle accidenté et mégalomane type Apocalypse Now. La mise en scène de Harari se caractérise au contraire par son classicisme et sa linéarité, capable cependant d’accueillir de brèves images mentales lorsque les souvenirs d’Onoda envahissent brusquement l’écran. Harari nous invite à partager l’expérience physique du temps et de la jungle de son antihéros, confronté à la mort et à la solitude. Le style du film évoque les grands modèles japonais (Mizoguchi) mais aussi américains, de Walsh à Eastwood. Entre voyage intérieur et récit de survie se déroulant sur une trentaine d’années, Arthur Harari (dont le premier film Diamant Noir était déjà particulièrement ambitieux et réussi) livre une méditation universelle sur ce qui constitue une culture, une patrie, les vertiges de l’intégrisme et de la quête de pureté. « Onoda est une image extrême de la capacité qu’ont les hommes de se raconter des histoires, géopolitiques, idéologiques ou religieuses pour justifier l’injustifiable – une spécialité moderne dont nous héritons, où que nous vivions. » (A. Harari) Il existe dans cette destinée individuelle ancrée dans le XXème siècle suffisamment de clés pour y interpréter des crises et des errances bien contemporaines, inhérentes à l’être humain et à chaque forme de civilisation. D’une richesse et d’une beauté inouïes, Onoda – 10 000 nuits dans la jungle vient nous rappeler que le cinéma est une machine à rêver mais aussi à penser le monde.

Sortie le 21 juillet, distribué par Le Pacte.

 

Arthur Harari © Bertrand Noël

Arthur Harari © Bertrand Noël

Catégories : Actualités · Coproductions

7 commentaires

  1. Félix dit :

    Bel article pour ce qui est, à l’évidence, l’un des tout meilleurs films de l’année. Très curieux de découvrir ce que Harari fera par la suite !

    • Olivier Père dit :

      Harari est un cinéaste super talentueux c’était évident dès son premier film DIAMANT NOIR qu’on va diffuser sur Arte l’année prochaine.

  2. Félix dit :

    Oui, Diamant Noir m’a bien plu aussi, avec toutefois quelques petites réserves (j’aurais sans doute préféré le film s’il avait été allégé de la relation trouble entre Schneider et la fille de la famille de diamantaires).
    Le raccourci est peut-être un peu facile, mais il m’a fait penser à du James Gray.
    Dès son premier film, en tout cas, on notait déjà toute la belle ambition de ce réalisateur précieux pour le cinéma français.

  3. Bertrand Marchal dit :

    J’avais acheté ce dvd il y a bien longtemps et je viens seulement de le regarder. Je ne connaissais pas ce cinéaste, je ne sais d’ailleurs toujours rien de lui. Prénom français, patronyme japonais… Je découvre sa photo, caucasien qui plus est. Une incongruité.

    Le film est très classique dans sa forme, clair, limpide dans sa progression. Direction d’acteurs superbe. Je crois que les acteurs asiatiques sont plus investis que d’autres dans leurs rôles. Ils sont toujours très intenses et la douleur physique semble être une partie intégrante de leur métier, presque un engagement moral. Témoignage à la marge de l’inclination sacrificielle de ces cultures: la scène de la bagarre, hyperréaliste et véritablement douloureuse est inimaginable dans le cinéma occidental.

    Le film parle de l’ancrage culturel de l’homme justement, de ce qui incarne une civilisation, des points de rencontre qu’elle peut organiser mais surtout des fossés qu’elle creuse dans les inconscients collectifs, au point d’organiser des humanités différentes, qui ne veulent plus se comprendre. Le personnage qui part le premier incarne subtilement l’état d’un navire à quai, balloté par la tempête et qui brise ses amarres pour se sauver, en désespoir de cause. Le doute et les hésitations sont très intelligemment examinés. Dans l’ensemble, le film propose de brillantes études de caractères, menées avec une évidence et un sens de l’observation extraordinaires.

    Grand film simple qui réussit aussi dans ses silences là ou Malick échoue dans ses calligraphies verbeuses.

  4. Bertrand Marchal dit :

    Bourde: après vérification Harari est un patronyme juif, même si la consonance évoque fort le Japon. Au temps pour moi!

    • Olivier Père dit :

      Arthur Harari est un cinéaste et scénariste français dont le premier film DIAMANT NOIR était déjà une remarquable réussite. il est également le co-auteur du scénario de ANATOMIE D’UNE CHUTE. Censé se dérouler sur une île des Philippines ONODA a été tourné au Cambodge et c’est une coproduction majoritairement européenne malgré son sujet et ses interprètes japonais.

  5. Bertrand Marchal dit :

    Merci. Bel effort pour un gros échec commercial. C’est un film lent et très long aussi. En japonais. Bref, on imagine que ce n’était pas un pari sur la curiosité du public mais un film à faire pour lui-même.

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