Olivier Père

Cannes 2021 Jour 2 : Le Genou d’Ahed de Nadav Lapid (compétition)

Après Le Policier, L’institutrice et Synonymes (Ours d’or à la Berlinale), le réalisateur israélien Nadav Lapid accède à la compétition cannoise avec son nouveau film, conçu dans l’urgence, aux antipodes de la longue et douloureuse macération du très beau Synonymes, qui revenait sur ses années de jeunesse parisienne. Le Genou d’Ahed s’affirme comme un prolongement de ses œuvres précédentes, marqué par une recherche toujours plus audacieuse d’une forme capable de retranscrire ce mélange de colère et de lucidité qui caractérise son cinéma. Synonymes épousait les hésitations et les déchirements moraux de son protagoniste, partagé entre deux pays. Dans Le Genou d’Ahed, un cinéaste seul dans le désert (Avshalom Pollak) se jette éperdument dans deux combats voués à l’échec : l’un contre la mort de la liberté́ dans son pays, l’autre contre la mort de sa mère. Le Genou d’Ahed est un coup de poing, un cri de rage contre la politique belliciste du gouvernement israélien, qui musèle son peuple et la culture dans un vaste programme de soumission et d’abêtissement. Nadav Lapid signe un film resserré et frontal (unité de lieu et de temps) tout en se permettant des incartades narratives dont il a le secret : on ne saura jamais la véritable nature de ce récit enchâssé, où des soldats attendent la guerre et la mort dans un avant-poste. Le cinéaste évoque-t-il un souvenir militaire ou invente-t-il une fable ? Quel rôle tient-il dans cette histoire ? Lapid aime à chaque film déconstruire et questionner les formes cinématographiques pour en inventer une nouvelle, toujours plus radicale et audacieuse, usant de la caméra comme d’un stylo, d’un pinceau ou d’un instrument de musique. Il malaxe une substance visuelle et sonore au plus près des idées et des corps, accomplissant un geste créateur qui mêle intimement l’organique et le politique, le morcellement dialectique et les palpitations d’une caméra fébrile, au plus près des personnages. Lapid réactive un cinéma de poésie tout en demeurant un formidable conteur qui n’hésite pas à bousculer son auditoire, ni à présenter son alter ego cinématographique sous un éclairage peu flatteur. Il ne cherche pas à séduire, ni à faire passer un message, mais à interpeler, à provoquer des réactions salutaires. C’est aussi un chorégraphe inspiré qui accorde une importance primordiale aux mouvements de danse, aux déplacements dans l’espace et aux chocs physiques, manifestations de survie d’une liberté entravée.

 

 

Sortie le 15 septembre, distribué par Pyramide.

 

avshalom-Pollak © Bertrand Noël

Avshalom Pollak © Bertrand Noël

Catégories : Actualités · Coproductions

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