Olivier Père

Cannes 2021 Jour 1 : Annette de Leos Carax (compétition, film d’ouverture)

Cet opéra-rock est né de la rencontre entre les frères du groupe américain Sparks (Ron et Russell Mael) et Leos Carax, il y a déjà neuf ans. Sparks avait écrit le livret et la musique d’un spectacle imaginé pour la scène, bientôt transformé pour le cinéma, sous l’impulsion de Carax qui a fait d’Annette, au bout d’une genèse tourmentée, son œuvre la plus riche et la plus aboutie, et sans doute la plus intime même si elle provient d’un matériau exogène. Certes Pola X était l’adaptation d’un roman de Melville, mais pensée et écrite par Carax. Annette conjugue l’univers de Sparks et les désirs de cinéma d’un créateur qui rêvait depuis longtemps d’un film entièrement musical. C’est peu dire que le résultat déverse sur l’écran des torrents d’images, de sons et de sensations, dans un style baroque et fulgurant. Annette raconte l’histoire d’amour destructrice entre une chanteuse d’opéra et un comédien de stand up, prétexte à réveiller les vieilles oppositions entre art noble et vulgaire, élévation vers le sublime et complaisance dans la farce. Elle meurt tous les soirs sur scène en diva sacrificielle, tandis qu’il tue son public à coups de vannes obscènes. Cet écart se traduit par différentes strates visuelles et sonores, qui associent beauté et monstruosité, dans un enchaînement de visions cauchemardesques et de drames. Il trouvera bientôt une résonance tragique dans l’intimité du couple et de leur petite fille, Annette, enfant de l’amour transformé en instrument de malédiction. Mais le sujet d’Annette ne se résume pas aux variations attendues sur l’art et la création. Le film, par de surprenants détours, accède à une dimension très contemporaine lorsqu’il évoque le couple, la masculinité, la paternité et l’emprise amoureuse. En centrant son film autour d’une figure virile et toxique, captive de ses démons, Carax dresse le portrait sans concession d’un homme violent, jaloux et complexé, interprété dans un mélange de puissance et de fragilité par un Adam Driver aux confins de la monstruosité. Marion Cotillard ne compose pas une simple victime éplorée mais dévoile une folie presque égale en spectre vengeur. C’est aussi le génie de Carax de tordre avec son film les conventions, de déjouer les attentes du spectateur, de bousculer les grands thèmes fédérateurs du spectacle, de l’amour et de la famille pour en dévoiler les zones d’ombres, les complexités et les détours maladifs. « Je suis confiant que ce film (qui est peuplé de fantômes) sera envoutant, noir et cruel, mais aussi drôle et joyeux et saura s’inscrire dans la riche histoire d’amour entre le cinéma, la musique et les voix » confiait Leos Carax au tout début du projet. La joie se ressent davantage dans la fabrication (l’adresse aux spectateurs qui ouvre le film, la présence à l’écran de toute l’équipe à la fin) que dans le résultat, digne des grands mélodrames faits de sang et de larmes. Mais l’ensemble transpire en effet le bonheur de créer, d’explorer de nouvelles potentialités du cinéma, de souligner son impureté ontologique en même temps que de revisiter les œuvres du passé qui continuent de hanter le cinéaste. On croise dans Annette les ombres menaçantes des films fantastiques, la gestuelle apeurée des héroïnes du cinéma muet, les réminiscences de L’Aurore de Murnau, les couleurs irréelles de Jacques Demy, la flamboyance glam de Phantom of the Paradise, et bien d’autres choses encore. Il faut l’assurance et la virtuosité de Carax, épaulé par la directrice de la photographie Caroline Champetier pour conférer à cette profusion poétique une sidérante harmonie visuelle, qui nous emporte vers des sommets d’émotions.

 

Sortie le 7 juillet, distribué par UGC.

 

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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