Olivier Père

Le Lion et le Vent de John Milius

C’est le deuxième long métrage de John Milius, après l’excellent Dillinger tourné pour American International Pictures. Le scénariste vedette est depuis les débuts des années 70 une figure charismatique parmi la nouvelle génération de jeunes cinéphiles décidés à s’imposer à Hollywood. Après des collaborations réussies mais également frustrantes avec Sydney Pollack (Jeremiah Johnson) et John Huston (Juge et Hors-la-loi), Milius souhaite passer à la vitesse supérieure et dispose cette fois-ci de moyens considérables pour imposer sa vision d’un cinéma d’aventure à l’ancienne, ou fable, récit picaresque et grande Histoire font bon ménage. Avec Le Lion et le Vent (The Wind and the Lion, 1975), Milius trouve un projet à la hauteur de ses ambitions. Le cinéaste est un passionné et un connaisseur de l’histoire militaire et politique des États-Unis mais il s’amuse à la violer pour l’accorder à ses désirs de conteur. Le Lion et le Vent s’inspire de l’enlèvement d’un Américain d’origine grecque au Maroc en 1904 qui déclencha une crise diplomatique à une époque où le pays était sous l’influence croisée de la France, l’Allemagne et l’empire britannique. Dans le film, c’est une femme et ses deux enfants qui sont kidnappés par El-Raisuli, un seigneur de la guerre berbère qui entend s’opposer au sultan du Maroc, à la solde des puissances occidentales. Le président Theodore Roosevelt, qui débute sa campagne de réélection, entend utiliser cette affaire pour démontrer la force d’intervention de son pays sur la carte du monde. Il décide d’envoyer un bataillon armé au Maroc. Emporté par la fièvre de l’aventure et de l’action, Milius imagine des combats entre les soldats américains, et les troupes marocaines et allemandes qui n’eurent jamais lieu mais lui inspirent des séquences héroïques. Quant au personnage réel d’El-Raisuli, bandit féodal et tyrannique qui se rêve en libérateur, il satisfait l’amour de Milius pour les hors-la-loi, les têtes brûlées et les pirates. Le Lion et le Vent est aussi symptomatique du rapport qu’entretien Milius avec l’histoire du cinéma. Son film est truffé d’emprunts et d’hommages à David Lean, Sam Peckinpah, Stanley Kubrick, Sergio Leone ou Akira Kurosawa, comme plus tard Conan le barbare. L’idée d’un monde violent et sauvage vu à travers le regard de deux enfants émerveillés provient de Kipling mais surtout de Cyclone sur la Jamaïque, sublime film d’aventures de Alexander Mackendrick. Milius aurait pu signer une fresque pompeuse et élégiaque. Il préfère opter pour l’humour et la dérision, pour mieux moquer l’orgueil ou les erreurs de ses « grands » personnages historiques, souvent dépassés par les événements et tournés en ridicule, à l’exception de Roosevelt (« le vent » de l’impérialisme) et El-Raisuli (« le lion » de la rébellion) qui conservent toute son admiration. Reprenant à son compte la célèbre phrase de Clémenceau selon laquelle « la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires », il organise une épopée sarcastique et dérisoire qui se termine par un grand éclat de rire, celui des perdants. Le film bénéficie d’une des plus formidables compositions symphoniques de Jerry Goldsmith, qui exprime à la perfection le souffle de l’aventure et du grand spectacle.

Le Lion et le Vent est enfin disponible en France en version intégralement restaurée en haute définition dans un combo DVD/Blu-ray édité par Rimini, qui contient un livre remarquable. « John Milius, le prisonnier du désert » de Christophe Chavda et Stéphane Chevalier balaie tous les poncifs, mensonges et idées reçues qui entachent encore l’œuvre et la réputation d’un des derniers vrais rebelles du cinéma américain.

 

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