Olivier Père

Frissons de David Cronenberg

Frissons (Shivers, 1975) est le premier film d’horreur de David Cronenberg à avoir été produit dans un système commercial. Il a connu une distribution internationale, intégré dans la mouvance du « cinéma d’exploitation » qui offrait aux spectateurs avides de sensations fortes un programme composé de sexe, de sang et de violence. Auparavant, Cronenberg avait réalisé plusieurs courts et moyens métrages underground (Stereo, Crimes of the Future) qui avaient attiré l’attention d’une autre forme de public spécialisé.

David Cronenberg réalise Frissons dans le giron d’une industrie cinématographique canadienne encore embryonnaire. Premier film, et premier scandale. Les journaux et les politiciens locaux se liguent pour dénoncer une production jugée pornographique et financée avec des deniers publics. Frissons essuie le mépris ou l’indifférence de la critique dite sérieuse. Cela n’empêche pas le film de connaître une carrière durable dans les salles de cinéma puis les vidéoclubs. Frissons, revu à l’aune de la filmographie de Cronenberg, est un point de départ parfait qui pose les bases d’une œuvre extrêmement cohérente. Le film prend à rebours tous les codes et lieux communs du fantastique traditionnel, hérités de la littérature gothique, pour établir l’acte de naissance de l’horreur moderne. De manière encore plus radicale que George A. Romero et sa Nuit des morts vivants en 1968, Cronenberg charge une horrible histoire de contamination d’une valeur politique et libertaire inédite. Des parasites entre la limace et le phallus, créés par un savant fou, s’infiltrent dans les corps des habitants d’une résidence de luxe ultra-moderne, et les transforment en maniaques sexuels. Un tel scénario, avec les images répugnantes qu’il engendre, représente une attaque frontale contre le puritanisme anglo-saxon, et le mode de vie américain. Le film du jeune cinéaste canadien ne choque pas seulement en raison de son contenu « gore », mais surtout de sa signification profonde, clairement compréhensible par tous. Cronenberg ne se désole pas de cette apocalypse virale prompte à détruire les fondements de notre société, mais s’en réjouit. Frissons prône l’orgie et le chaos généralisés, destinés à se propager dans toute la ville comme le laisse entendre les dernières images. Une conclusion que Cronenberg, non sans humour, semble accueillir avec la satisfaction que procure les fins heureuses. Il n’y a pas dans Frissons le jugement moralisateur et péremptoire des films fantastiques ou catastrophes qui comptabilisent destructions, fléaux et morts violentes comme autant de punitions accablant une humanité déréglée. Cronenberg balaie d’un geste rageur une société confinée, aussi rassurante que navrante avec son confort hygiéniste, ses richesses et privilèges, pour nous laisser entrevoir un monde insoupçonné, dangereux, qui inverse toutes les règles pour peut-être en inventer d’autres. Les frissons (« shivers ») promis par les titres français et canadien ne seraient donc pas seulement la conséquence de l’effroi, mais aussi de l’excitation.

Le film est disponible en version restaurée en édition collector combo Blu-ray + DVD + Livret, avec de nombreux compléments, chez ESC.

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