Olivier Père

La Forêt d’émeraude de John Boorman

La Forêt d’émeraude (The Emerald Forest, 1985) de John Boorman est disponible pour la première fois en Blu-ray depuis le 1er avril, édité par Studiocanal.

Ce film, l’un des meilleurs du cinéaste, revisite à la fois le cinéma d’aventures exotiques – genre abondamment illustré par le cinéma britannique, n’oublions pas que Boorman et son film sont anglais – mais aussi et surtout le western, n’oublions pas que Boorman a signé certains de ses meilleurs films aux États-Unis, et qu’il s’est intéressé à presque tous les grands genres hollywoodiens. La Forêt d’émeraude reprend en effet la trame de plusieurs westerns classiques, à savoir l’enlèvement et l’éducation d’un enfant blanc par une tribu d’indiens, et la quête longue et obstinée de ses parents pour le retrouver.

Boorman évacue la question du racisme au cœur de cette problématique du rapt dans le western américain (voir La Prisonnière du désert) et la déplace du côté de l’écologie. L’adjectif « visionnaire » fut souvent employé à tort ou à raison à propos d’un cinéaste peu avare en effets psychédéliques et imagerie pompière dans ses productions des années 70 – il en subsiste quelque chose dans La Forêt d’émeraude, avec les rites initiatiques des « Invisibles. » Il se révèle pertinent au sujet du cri d’alerte lancé par Boorman dès 1985 contre la destruction de l’Amazonie, « poumon de la planète » (avec les océans) dont on évalue aujourd’hui les conséquences désastreuses.

John Boorman transpose son western dans la forêt amazonienne dont la tranquillité sauvage et millénaire est dérangée par la construction d’un barrage en vue d’une installation portuaire. Des plans insistent sur la lacération et le déracinement des arbres par les bulldozers. Un ingénieur américain constate l’enlèvement de son fils de huit ans aux abords du chantier. Dix ans plus tard, tandis que le barrage est bientôt terminé, il entre enfin en contact lors d’une expédition dans la jungle avec son fils, devenu un jeune guerrier de la tribu des « Invisibles », appelée ainsi en raison de son art du camouflage qui lui permet de vivre en parfaite communion avec la nature, sans aucun contact avec la civilisation moderne. Cinéaste rousseauiste, Boorman magnifie la sagesse et la beauté de cette tribu amazonienne, lui vouant une admiration sans borne qu’il rend communicative par la splendeur des images du chef opérateur Philippe Rousselot. Au-delà de son message écologique et humaniste La Forêt d’émeraude entretient des liens thématiques et visuels évidents avec les films précédents de Boorman, notamment Délivrance (la rivière comme lieu de retour à la sauvagerie) et Excalibur. Spectaculaire récit d’aventures, rythmé et traversé de scènes inoubliables, La Forêt d’émeraude est également un beau film sur la relation entre un père (Powers Boothe) et son fils (Charley Boorman, le propre fils du réalisateur), renouée de manière dramatique en pleine attaque de guerriers cannibales après une interruption brutale de dix ans. Les notions de protection et de transmission attachées à la fonction paternelle sont ici inversées et c’est le fils qui, sur son propre terrain, va amener son père à modifier radicalement sa vision du monde et à adopter la cause des Indiens.

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