Il existe relativement peu de films de fiction consacré à la tauromachie, et celui-ci et de toute évidence le meilleur d’entre eux. Pourtant, il fut mal reçu au moment de sa sortie et demeure l’un des titres les moins commentés de Francesco Rosi, y compris par ses exégètes. Il faut donc remercier Jean-Baptiste Thoret pour avoir extirpé d’un oubli injuste ce film magnifique, en le proposant en combo dvd et blu-ray dans sa collection « Make My Day » chez Studiocanal.Le Moment de la vérité (Il momento della verità, 1965) est un film dont le tournage débuta sans scénario préétabli, avec acteurs non-professionnels et dont les prises de vues de déroulèrent dans les mêmes conditions qu’un documentaire. Le cinéaste capte toutes les facettes de la tauromachie en Espagne, des courses de taureaux dans les rues jusqu’aux corridas dans de gigantesques arènes, en passant par l’entraînement des toreros. Le film suit le destin de Miguelin, un jeune homme très pauvre d’un petit village d’Andalousie qui choisit d’aller à Barcelone pour y trouver un emploi et une vie moins difficile. La déconvenue est cruelle. Il passe du statut de paysan à celui de sous-prolétaire, sans illusion sur ses chances d’échapper par le travail à sa condition harassante et précaire. Seule moyen d’échapper à la misère : devenir torero. L’ascension de Miguelin vers la gloire sera aussi rapide que sa chute. Il est de coutume de considérer Le Moment de la vérité comme une œuvre célibataire dans la carrière de Rosi, sans points communs avec les « films-dossiers » qui assurèrent sa réputation. Pourtant, ce film sur la tauromachie tourné dans l’Espagne franquiste se révèle tout aussi politique que les célèbres titres de Rosi sur la mafia ou les scandales qui secouèrent l’Italie de l’après-guerre. Le cinéaste analyse l’aliénation de son personnage, d’abord main-d’œuvre exploité par toute une chaine d’intermédiaires, puis vedette de la tauromachie exploitée par un imprésario qui l’accable sous les contrats et les représentations. Les conditions de travail et de vie dégradantes cèdent la place au luxe et à l’argent, mais le prix à payer est un combat régulier avec la mort elle-même, lors de ce « moment de vérité » qui donne son titre au film. La critique de Rosi ne concerne pas seulement l’Espagne de Franco. La tauromachie peut être appréhendée comme une métaphore de la violence imposée au pays, mais le propos du réalisateur est bien plus universel et désigne la condition du prolétariat dans les sociétés occidentales. Rosi souligne même la proximité entre l’Espagne et la culture populaire napolitaine qu’il connait parfaitement et qu’il a souvent décrite dans ses films. Le Moment de la vérité est le premier film en couleur de Rosi. L’utilisation du Technicolor et du Techniscope transcende l’origine documentaire de la plupart de images et leur confère une dimension opératique, en symbiose avec le cérémonial sang et or de la corrida, encadré par une procession de pénitents au début du film et les obsèques finales. Rosi se souvient de la leçon de La terre tremble de Visconti, dont il fut l’assistant. La captation honnête de la réalité n’empêche pas un vigoureux travail de composition formelle, quasiment pictural. On doit les images inoubliables du Moment de la vérité au directeur de la photographie Gianni Di Venanzo, collaborateur régulier de Rosi et Antonioni, mais aussi à Pasqualino De Santis au poste de caméraman. Les nombreuses scènes de foule et de corrida furent tournées avec un téléobjectif 300 mm, habituellement réservé à l’enregistrement d’événements sportif. Cet objectif permet à Rosi de saisir et d’interpréter la relation qui s’instaure entre l’homme et l’animal à l’instant fatidique, et d’éviter le moindre trucage.
Le Moment de la vérité de Francesco Rosi
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