Olivier Père

The Intruder de Roger Corman

ARTE diffuse The Intruder (1962) de Roger Corman lundi 17 février à 22h30. Le film sera également disponible gratuitement en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE.tv. Seul échec commercial de Roger Corman au sein d’une carrière pléthorique, The Intruder est aussi son meilleur film. On peut le vérifier sur ARTE, quelque mois après sa première sortie dans les salles françaises et en blu-ray, distribué par Carlotta. Longtemps inédit, difficilement visible, The Intruder ne faillit pas à sa réputation de brûlot politique. A l’origine du film, il y a la volonté de Corman d’exprimer son soutien aux actions de la NAACP (association nationale pour la promotion des gens de couleur), organisation américaine de défense des droits civiques. Créée au début du XXème siècle, la NAACP remporte une victoire importante en 1957 lors d’une campagne qui pousse à la déségrégation des écoles et des services publics à travers tout le pays. The Intruder se déroule dans cette période où de lois sur l’intégration, permettant à des élèves noirs de fréquenter les mêmes établissements scolaires que les blancs, viennent d’être votées. Corman plante l’action de son film dans un petite ville du sud des États-Unis dont les habitants, traditionnellement conservateurs, se sont résignés à appliquer ces nouvelles règlementations venues de Washington. Un étranger en costume en lin débarque un matin d’un autocar. Il se présente comme un réformateur social curieux de recueillir les opinions des citoyens. C’est en vérité un agitateur engagé par un groupuscule de suprémacistes blancs pour soulever des mouvements de colère et provoquer des émeutes partout où les lois sur l’intégration sont appliquées. Ce sinistre personnage, baratineur et séducteur de jeunes filles, est décrit comme un névropathe et un mégalomane, qui n’hésite pas à se comparer à Hitler lors d’un bref séjour en prison. Il parvient à sortir les habitants de leur léthargie, la plupart d’entre eux des racistes convaincus, mais aussi des citoyens ordinaires résignés devant l’évolution de la société américaine. Le film est parfaitement réussi dans sa description de cet homme faible et pourtant animé par un sentiment euphorique de surpuissance lorsque la première partie de son plan machiavélique atteint les résultats escomptés. Il a compris que le meilleur moyen de manipuler une foule sudiste est de ranimer certains fantasmes et phobies sexuelles qui entourent la communauté noire. La dénonciation d’un adolescent de couleur faussement accusé du viol d’une étudiante blanche dans l’enceinte du lycée est l’étincelle qui met le feu aux poudres, et déclenche un début de lynchage. The Intruder fut entrepris par Corman grâce au succès des premiers titres de sa collection de films fantastiques adaptés de nouvelles d’Edgar Poe. Dans ses mémoires, il confie : « The Intruder a été le premier film que j’ai dirigé avec une profonde conviction sociale et politique. Ça a été de loin le plus grand risque commercial de ma carrière : un film en noir et blanc, à 80.000 dollars, sur la question raciale dans une petite ville. » Le tournage du film à Charleston, dans le Missouri, est troublé par l’hostilité de la population locale. Mais les prises de vues en décor naturel confèrent au film une esthétique réaliste qui renforce l’efficacité de son propos. Corman adopte un style sans fioriture, tout en maîtrisant sa mise en scène et sa direction d’acteurs. The Intruder, malgré ses difficiles conditions de production, est un film parfaitement pensé et réalisé par Corman. Film maudit dans la carrière du cinéaste et dans l’histoire du cinéma indépendant américain des années 60, The Intruder a mérité sa réhabilitation tardive et fait regretter que Corman ait abandonné toute velléité artistique après sa distribution calamiteuse sur le territoire américain.

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