ARTE rediffuse dimanche 16 février à 20h55 Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, 1962) de David Lean, dans sa version longue supervisée par le cinéaste lui-même en 1989. A partir du Pont de la rivière Kwaï en 1957 le cinéaste anglais David Lean dont l’œuvre alternait adaptations littéraires et chroniques de la société et des mœurs britanniques se tourne vers le monumentalisme cinématographique. Ses films deviennent des superproductions ambitieuses, voire hypertrophiées, mettant en scène des sujets historiques avec une pléiade de vedettes internationales, caractérisées par un perfectionnisme et une maîtrise maniaque du moindre détail assez exceptionnels. C’est l’heure de la consécration pour David Lean, mais aussi de l’enfermement dans des productions de plus en plus lourdes et coûteuses, et du risque de l’académisme illustratif. Cependant, Lean conserve le goût du risque et il n’a pas peur des sujets à polémique, en rapport direct avec l’histoire du XXème siècle. Lean, loin d’être un cinéaste révolutionnaire, critique pourtant la tradition militaire et l’empire colonial anglais dans ses deux films les plus célèbres, deux grandes réussites qui sont aussi le portrait de deux grands obsessionnels, à la limite de la pathologie, Le Pont de la rivière Kwaï et surtout Lawrence d’Arabie. Ce dernier film s’inspire librement des Sept Piliers de la sagesse, vaste récit autobiographique publié en 1926 dans lequel T. E. Lawrence raconte ses aventures. Le film de Lean en retrace les épisodes majeurs, en prenant une certaine distance avec Lawrence. En 1916, le jeune officier britannique T. E. Lawrence est chargé d’enquêter sur les révoltes des Bédouins contre l’occupant turc. Celui qu’on appellera plus tard « Lawrence d’Arabie » se range alors du côté des insurgés et, dans les dunes éternelles du désert, organise une guérilla. Il mène la libération de Damas et devient l’un des principaux artisans de l’unité arabe. Personnage brillant mais controversé, il va mener des batailles aux côtés de ses alliés et changer la face d’un empire. Ce chef-d’œuvre dresse le portrait d’un personnage ambigu à tous points de vue – militaire, politique, sexuel – loin des héros de films d’aventures classiques. Lawrence est un libérateur mais c’est aussi un corrupteur qui va semer la mort et la discorde autour de lui, achevant sa carrière militaire dans un bain de sang inutile qui le montre définitivement souillé par l’ivresse et l’obscénité de la guerre. Consacrer une superproduction à un personnage trouble et peu sympathique sans rien dissimuler de ses faiblesses, de son masochisme et de son exhibitionnisme n’est pas la moindre des audaces de Lawrence d’Arabie, épopée de l’échec, histoire d’un Anglais phobique obsédé par la pureté qui aimait le désert « parce que c’est propre. »
Lawrence d’Arabie ouvre littéralement une brèche moderniste dans la filmographie de Lean, avec des audaces qui le distingue des films précédents du réalisateur mais aussi des fresques épiques à gros budget des années 50 et 60. La longueur inhabituelle de certaines scènes, le sublime raccord entre un gros plan d’allumette qu’on éteint et un lever de soleil dans le désert, des éclairs sidérants de violence et de folie annoncent les visions de Stanley Kubrick (2001: l’odyssée de l’espace) et Sergio Leone (Il était une fois dans l’ouest), autres maîtres en spectacles démesurés où la grande Histoire croise des espaces purement mentaux et des psychés déréglées.
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