Dans les années 70, Robert Altman enchaîne les tournages et signe quelques-uns des films américains les plus importants de la décennie, sans pour autant occuper les cimes du box-office. La variété de son champ créatif impressionne. Adepte d’un cinéma naturaliste, sarcastique et viril, il est également l’auteur de films oniriques et purement mentaux comme le thriller fantastique Images (1972) ou Trois Femmes (3 Women, 1977), qui plongent dans la psyché de personnages féminins fragiles et tourmentés. Ce titre, en particulier, constitue sans doute ce que le cinéaste a produit de plus expérimental, aux confins de l’abstraction. Altman est son propre producteur et il est capable de mettre en chantier le film très rapidement, entouré d’une équipe fidèle, avec un budget modeste. Contrairement à une certaine doxa dans le cinéma américain, le cinéaste débute le tournage sans scénario préétabli et s’appuie sur un simple canevas pour les prises de vues. Altman avouera au moment de la présentation de Trois Femmes au Festival de Cannes que le film est né d’un rêve. Il a rêvé à deux actrices qu’il connait pour les avoir vues travailler ou dirigé, Sissy Spacek et Shelley Duvall, dans des situations analogues à celles qu’on retrouvera dans le film, bâti sur leurs personnalités et leurs physiques antagonistes. Elles interprètent respectivement une petite texane rouquine et introvertie et une brune filiforme et sophistiquée, toutes deux employées dans un centre thermal de réadaptation physique pour personnes du troisième âge, au fin fond du désert californien. Bientôt une relation étrange s’engage entre les deux femmes, tandis qu’une troisième, enceinte et silencieuse, dessine des fresques géantes aux motifs inquiétants. A l’époque, Federico Fellini et Ingmar Bergman sont à la fois des cinéastes admirés et des sources d’inspiration. Peintre de l’Amérique déboussolée des grandes métropoles comme des communautés rurales, Altman n’est pas insensible aux avancées modernistes du cinéma européen. Il est aisé de comparer son film avec Persona, dont il emprunte plusieurs motifs. Le dédoublement, le transfert, la fusion et l’inversion structurent Trois Femmes. Altman prend bien soin de ne livrer aucune clé narrative ou psychanalytique au spectateur, plongé dans une ambiance amniotique où tout suggère l’invention d’un gynécée utopique et subversif. Le cinéma d’auteur américain n’a donc pas attendu Mulholland Dr. pour s’approprier le chef-d’œuvre de Bergman. La veine ésotérique d’Altman peut paraître moins féconde et aboutie que sa veine satirique ou chorale, plus marginale au sein d’une filmographie pléthorique, mais elle a quand même accouché, c’est le cas de le dire, d’un titre absolument fascinant. Dans ce film-aquarium à la lenteur hypnotique, encerclé par une chaleur de fournaise, Sissy Spacek et Shelley Duvall rayonnent.
Trois Femmes est disponible dans une édition Collector Combo Blu-ray DVD chez Wild Side.
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