Olivier Père

Paradis pour tous de Alain Jessua

ARTE diffuse Paradis pour tous (1982) d’Alain Jessua dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 décembre à 0h25, façon comme une autre d’anticiper la gueule de bois des réveillons de Noël et du jour de l’an. La sinistrose carabinée et contagieuse du film, inappropriée dans les années 80, trouve dans notre époque un écho troublant. On se hasardera donc à revoir ce titre bizarre du cinéma français, par un auteur trop discret, disparu en novembre 2017 mais qui bénéficie désormais d’un véritable regain d’intérêt, notamment chez un cinéaste comme Virgil Vernier (Mercuriales, Sophia Antipolis). C’est très compréhensible quand on constate comment Jessua, seul dans son coin, s’est obstiné à mélanger dans ses films sociologie et fantastique, mythologies modernes et satire.

Paradis pour tous est le film posthume de Patrick Dewaere, décédé un mois avant sa sortie. Le suicide de Dewaere a entaché la réception du film d’Alain Jessua, accusé à l’époque par les médias d’avoir profité de l’état dépressif de l’acteur. Au-delà de ce mauvais procès, il faut chercher ailleurs le caractère prémonitoire de Paradis pour tous. Jessua, auteur de fables d’anticipation, décrit une société aseptisée entièrement soumise à la dictature du bonheur. Pour vivre heureux, des hommes et des femmes acceptent de servir de cobayes à une nouvelle thérapie, le flashage, qui consiste à couper le nerf de l’émotion. Réduits à l’état de zombies dociles, les patients sont délestés de la moindre angoisse et deviennent de parfaits employés et consommateurs. Jessua nous montre des esclaves consentants qui adorent les publicités à la télévision et collectionnent les signes extérieurs de richesse. Dans des décors d’Orange mécanique de sous-préfecture, d’excellents acteurs participent au jeu de massacre orchestré par Jessua, avec un cynisme et un sens du grotesque assez réjouissant. Avec son scénariste André Ruellan, écrivain de science-fiction, Alain Jessua réussit un film glaçant, dont la peinture d’un libéralisme à la fois économique et sexuel annonce les romans de Michel Houellebecq.

 

 

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