Olivier Père

Désirs humains de Fritz Lang

ARTE diffuse Désirs humains (Human Desire, 1954) de Fritz Lang lundi 7 octobre à 22h25. Désirs humains est un film réalisé par Lang pour Jerry Wald à la Columbia, juste après Règlement de comptes. Le producteur souhaite mettre en chantier une nouvelle adaptation de La Bête humaine d’Émile Zola, déjà porté à l’écran par Jean Renoir en 1938. Il confie ce projet à Lang qui retrouve malgré lui la distribution de son film précédent, Glenn Ford et Gloria Grahame – le réalisateur aurait préféré diriger Rita Hayworth comme cela était initialement prévu. C’est ainsi la seconde fois que Lang est amené à mettre en scène à Hollywood la nouvelle version d’un film de Renoir, après La Rue rouge (1945), remake de La Chienne (1931). Lang et son scénariste Alfred Hayes prennent leur distance avec le roman de Zola. Ils évacuent les thèmes de l’hérédité alcoolique et de la pathologie criminelle, pourtant au cœur de La Bête humaine, pour ne garder qu’une partie de la trame narrative, et l’univers du chemin de fer.

Le héros de cette tragédie moderne est toujours un cheminot dont le chemin croise par hasard un couple soudé par un meurtre. Mais Jeff (Glenn Ford), contrairement à Lantier, n’est pas la victime d’une malédiction sociale et familiale qui l’entraîne sur la voie du crime. Ce n’est pas non plus un personnage obsessionnel physiquement lié à sa machine qui le propulse à une vitesse folle. Son expérience de soldat en Corée lui a fait côtoyer la guerre mais ne l’a pas intoxiqué à la violence et au sang. Il échappe au fatum par un sursaut d’énergie et de libre arbitre, tandis que le couple maudit – qui passionne Lang – ne parvient à s’extraire de son funeste destin. Désirs humains appartient à la catégorie des films de Lang encore trop mésestimés, y compris par lui-même. Les nombreuses contraintes de la production et du tournage n’empêchent pas Lang de signer une œuvre implacable, satire féroce de l’American Way of Life, des rêves de conformisme et de soumission volontaire d’Américains ordinaires. Lang décrit un univers froid et déshumanisé, dans lequel les décors, les lieux de vie et de travail d’une triste banalité confinent à l’abstraction géométrique. Dans un contexte aussi trivial que possible, Lang demeure le grand architecte du destin et des passions humaines, et conserve les principes poétiques d’une mise en scène expressionniste. Dans un entretien avec Peter Bogdanovich au sujet de sa carrière américaine, Lang ne pouvait s’empêcher d’ironiser sur le titre du film : « Vous avez déjà entendu parler d’une autre espèce de désir ? »

 

 

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