Francesco Rosi a établi à partir de son chef-d’œuvre Salvatore Giuliano (1962) les bases du « film dossier », à savoir la superposition d’images d’archives à la fiction ayant pour but de renseigner le plus objectivement possible sur un sujet lié à l’histoire contemporaine de l’Italie. Cadavres exquis (Cadaveri eccelenti, 1976) s’écarte de ce programme. C’est la première fois que Rosi adapte un roman. Il respecte, à sa manière, les codes d’une enquête criminelle. Il n’y aura pourtant ni arrestation du suspect principal, ni résolution du mystère. Au contraire, l’enquêteur va se perdre dans un labyrinthe, impuissant face à une force tentaculaire invisible, incapable de trouver des alliés politiques dans sa croisade solitaire. « La vérité n’est pas toujours révolutionnaire » est la dernière phrase prononcée dans le film, couperet qui vient expliciter la coalition secrète entre le pouvoir en place et le principal parti d’opposition.
Un policier, Rogas, enquête sur la série d’assassinats de puissants juges. Ses investigations le conduisent sur la trace d’un homme autrefois condamné par les magistrats. Rogas découvre bientôt que certains personnages influents ne veulent pas entendre parler d’une vengeance personnelle et entendent donner à l’affaire une explication politique, souhaitant profiter de ce climat de violence pour instaurer un état de répression. Alors que les « films dossiers » qui firent la réputation de Francesco Rosi s’intéressaient à l’histoire récente de l’Italie et à ses figures les plus controversées (Salvatore Giuliano, Enrico Mattei, Lucky Luciano), Cadavres exquis, adapté du roman Le Contexte de Leonardo Sciascia, se présente comme un polar métaphysique, supérieur à toutes les « fictions de gauche » produites en France et en Italie à l’époque. Censé de dérouler dans un pays imaginaire, contrairement au livre de Sciascia, le film fait évidemment allusion au terrorisme et aux complots d’extrême droite de l’Italie des années 70. Mais son propos est plus universel que la stratégie de la tension des années de plomb. La description d’une société corrompue dont le pouvoir repose sur un vaste réseau de surveillance, ainsi que la dénonciation de la technologie au service du totalitarisme évoque le Conversation secrète de Coppola réalisé deux ans plus tôt. Cadavres exquis est remarquable pour son climat paranoïaque aux lisières du fantastique et sa galerie de monstres inquiétants interprétés par quelques grands acteurs internationaux (Charles Vanel, Fernando Rey, Alain Cuny, Max von Sidow). Lino Ventura, dans le rôle de Rogas, fonctionnaire intègre qui perd peu à peu ses certitudes en levant le voile sur la pourriture des institutions et de la justice, y est encore meilleur qu’à son habitude.
Cadavres exquis est disponible en DVD chez ESC, à l’instar d’un autre film important de Rosi, Les Hommes contre (1970). On peut regretter que l’éditeur ne propose pas ces deux titres majeurs du cinéma italien, devenus rares, en version restaurée HD.
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