A l’occasion de la sortie de son nouveau long métrage Personal Shopper, actuellement sur les écrans, ARTE consacre la soirée du mercredi 21 décembre à Olivier Assayas, avec la diffusion de deux de ses plus beaux films : Sils Maria (pour la première fois en clair) à 20h55 et Irma Vep à 22h55. Les deux films seront disponibles en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.
Avec Sils Maria (2014) Olivier Assayas fait une fois de plus preuve d’une maestria extraordinaire, conciliant avec une habileté déroutante suprême élégance de la mise en scène, profondeur et intelligence du contenu, avec différentes strates de sens qui enrichissent le film et le rendent plus passionnant à chaque nouvelle vision. Même quand il s’attelle à des projets historiques comme Les Destinées sentimentales ou Carlos, c’est toujours au monde contemporain qu’Olivier Assayas s’intéresse, et sur lequel il pose un regard à la fois parfaitement informé et critique. C’est encore le cas avec Sils Maria, portrait d’une actrice en trois chapitres, à un âge charnière de sa vie, mais aussi trois visages de femmes issues d’univers différents reliés par le thème de la représentation – la grande actrice, son assistante, la jeune « it girl » hollywoodienne qui éclairent le film d’un éclat singulier. Sils Maria est d’abord un film miroir aux multiples facettes puisque Assayas s’amuse des subtiles correspondances entre les répétitions de la pièce et la relation de travail entre Maria (Juliette Binoche) et son assistante Valentine (Kristen Stewart), mélange de complicité, de dépendance et de domination. L’histoire d’une actrice acceptant de reprendre la pièce qui l’a rendue célèbre mais en jouant vingt ans plus tard le rôle de la femme mûre, après l’annonce du décès de son mentor est aussi une allusion à Rendez-vous d’André Téchiné, film sur une actrice débutante qui révéla Juliette Binoche, écrit par… Olivier Assayas.
Assayas investit les milieux du théâtre et du cinéma pour filmer la collision d’univers aussi différents que ceux de la culture classique, d’un certain raffinement intellectuel européen – Sils Maria, station hôtelière dans les Alpes suisses qui abrita Proust, Nietzsche et Thomas Mann et des médias modernes et de l’industrie du spectacle, avec l’intrusion de plus en plus agressive des images virales et d’internet dans nos vies de tous les jours, installant une nouvelle (fausse) proximité entres les personnes publiques (actrices, starlettes, l’affreux mot « people ») et nous, consommateurs drogués par ces flux d’informations toxiques.
Le monde dans lequel nous vivons est plus que jamais celui des réseaux sociaux, google, imdb, les blogs, skype, les tabloïds, abondamment cités, employés et commentés dans le film – dès la première scène – qui redéfinissent le statut de l’artiste et son aura. Olivier Assayas est un styliste, c’est aussi un moraliste. La vitesse d’exécution, le goût de l’hybridation, l’inspiration constante de la mise en scène se doublent d’une lucidité à toute épreuve. Sils Maria est un film qui nous regarde autant que nous le regardons. La dialectique théâtre contre cinéma, vie privée contre vie publique, Antonioni contre Bergman échappe au risque d’un dispositif théorique et donneur de leçon, ou du jeu de piste cinéphilique slalomant entre Mankiewicz et Cukor. Le film est brillant, drôle, émouvant. C’est enfin un magnifique « women picture » avec trois actrices en état de grâce, diaboliques d’aisance et de talent, dirigées et filmées comme elles ne l’ont jamais été. Juliette Binoche éblouit dans un rôle aux multiples facettes ; Chloé Moretz – 16 ans au moment du tournage – est impressionnante de maturité tandis que Kristen Stewart, la révélation de Sils Maria est géniale de bout en bout dans le rôle de Valentine l’assistante de Maria, jeune femme moderne et agile, sans doute le plus beau personnage du film, le plus cher au cœur du cinéaste comme au nôtre.
Sils Maria a remporté le prix Louis-Delluc en 2014 et a permis à Kristen Stewart de recevoir le César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2015.
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