En préambule de son Summer of Scandals ARTE consacre une large partie du n°804 du magazine Court-Circuit (vendredi 15 juillet après minuit) au cinéaste autrichien Ulrich Seidl avec trois documentaires, un court, un moyen et un long métrage, très représentatifs du travail de ce cinéaste, moraliste ou provocateur selon les points de vue, qui se caractérise par sa constance formelle et thématique, y compris lors de ses passages à la fiction. Il y a de l’invention – et de la reconstitution – dans les documentaires de Seidl et toujours une large part de documentaire dans ses longs métrages narratifs.
Seidl ne cherche pas à documenter la réalité, mais plutôt l’inconscient des Autrichiens et de l’Autriche. Cinéaste controversé et parfois haï Seidl est d’abord un remarquable documentariste, comme viennent le rappeler ces trois documentaires réalisés au début de sa carrière (Un mètre quarante, Bal) ou très récemment (Sous-Sols, photo en tête de texte).
Un mètre quarante (Einsvierzig, 1980) est le tout premier film de Seidl, alors étudiant en cinéma, un court métrage documentaire de 16 minutes, en noir et blanc. Il s’agit d’un portrait de Karl Wallner, un nain. Dès ses débuts Seidl adopte un style frontal, avec une succession de plans fixes qui enregistrent les témoignages de Wallner et des personnes qui le côtoient quotidiennement, sa mère ou ses collègues. Les propos amènes contrastent avec l’attitude renfrognée de Wallner, handicapé par sa petite taille mais aussi ses problèmes d’audition, qui apparaît comme un sociopathe, un individu inquiétant englué dans une existence sinistre – il vit chez sa mère, exerce un métier assommant et répétitif dans une petite usine. L’émotion surgit avec l’intervention d’une jeune femme lilliputienne qui s’exprime sur sa condition et la médisance dont elle fut victime dans sa vie sentimentale. Seidl adopte un ton volontiers ironique et un humour froid qui ne le quitteront plus. Wallner rôde à l’arrière-plan tandis que certaines de ses connaissances parlent de lui devant la caméra. Cela créée un sentiment de menace et de gêne pendant la séquence. Seidl s’amuse à filmer des voisins devant leur maison avec un nain de jardin au premier plan. Dès Un mètre quarante Seidl sera accusé de cynisme et d’obscénité, de « pornographie sociale ». Il n’est pas étonnant que Werner Herzog, lui aussi violemment attaqué au moment de la présentation des Nains aussi ont commencé petits, sera l’un des premiers à adouber Seidl de son admiration.
Bal (1982) est le moyen métrage qui a valu à Ulrich Seidl son renvoi de la Wiener Filmakademie, l’école de cinéma de Vienne. Le film est dédié à Jean Eustache et une certaine Christine. Eustache, qui s’était suicidé en 1981, avait consacré deux documentaires, à dix ans d’intervalle, sur une manifestation festive dans sa ville natale, Pessac, en l’honneur de la vertu d’une jeune fille : La Rosière de Pessac. Eustache se refusait à tout jugement critique ou moral sur cette célébration désuète. Seidl part du même principe avec Bal. Traditionnellement, à Horn, petite ville de Basse-Autriche où a grandi Ulrich Seidl, les lycéens organisent eux-mêmes le bal de fin d’année. Parents, professeurs et notables s’y donnent rendez-vous. Seidl se fait très tôt des ennemis. Des professeurs, qui détestent le montage et la structure du film, le feront virer car il risque de nuire à la réputation de l’école.
Pourtant rien de choquant dans ce film, qui se contente de montrer l’ennui et le conformisme écrasants qui règnent dans une petite bourgade autrichienne, avec des jeunes gens propres sur eux aux vies déjà programmées et des adultes assoupis. Est-ce que Seidl se moque de ces bourgeois sinistres qui s’encanaillent une fois par an en buvant du mousseux et en se trémoussant sur « la danse des canards » ? Est-il cynique, misanthrope ou tout simplement lucide sur la nature profonde de ses compatriotes, comme le fut Thomas Bernhard ?
Les derniers plans montrent le village silencieux, comme mort, après les festivités. La chape de plomb vient de se refermer sur ces mornes existences…
Dans Sous-Sols (Im Keller, 2014) Seidl retrouve après Dog Days les décors de la banlieue pavillonnaire de Vienne et ses habitants. Il y explore une véritable culture nationale des caves, garages et autres sous-sols qui abritent les passions, pulsions et fantasmes les moins avouables et les plus dérangeants.
Sous-Sols entrouvre la porte secrète d’un cabinet de curiosités, véritable festival de « freaks », et exploration de la face la plus obscure de petits-bourgeois qui cultivent leurs marottes, des plus insignifiantes – les amateurs de trains miniatures – jusqu’au plus terrifiantes – les nostalgiques du IIIème Reich qui collectionnent des oripeaux nazis et se réunissent autour du culte de Hitler. D’autres, et c’est plus banal, se livrent à des pratiques sadomasochistes entre adultes consentants.
Tous ces « Autrichiens de souche » sont possédés par la peur du monde extérieur, la xénophobie, hantés par les fantômes du nazisme, les rapports de domination et de violence. L’une des séquences les plus perturbantes – une vieille femme qui collectionne des poupées de bébés hyperréalistes, mais les conservent dans des boites à chaussures enfermées dans une cave et vient régulièrement leur rendre visite – a en fait été inventée par Seidl. Dans Sous-Sols Seidl prend des libertés avec la réalité pour affirmer la dimension métaphorique de son film : filmer l’inconscient d’une population. Le résultat est à la fois drôle – un humour très grinçant, bien sûr – et effrayant.
Seidl a de la suite dans les idées puisque le couple de Sous-Sols qui exhibe de nombreux trophées de chasse africains dans son salon annonce son nouveau documentaire, Safari, dont nous parlerons bientôt ici.
Un mètre quarante et Bal seront également disponibles en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.
Sous-Sols existe aussi en DVD, édité par Blaq out.
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