Olivier Père

Les assassins sont parmi nous de Wolfgang Staudte

ARTE célèbre les 70 ans de la DEFA (Deutsche Film AG), les studios de cinéma de la RDA, avec un cycle de quatre longs métrages et un documentaire, inauguré lundi 23 mai à 20h55 avec Les assassins sont parmi nous (Die Mörder sind unter uns, 1946) de Wolfgang Staudte. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

 

« Alors que Weimar, le IIIe Reich, le jeune cinéma sont parmi les périodes ou les écoles les mieux connues et les plus discutées du cinéma, la production de la République Démocratique Allemande est une des plus obscures. Cet ensemble isolé dans le temps et l’espace représente quarante ans de films oubliés, jamais discutés, même en langue allemande, quasiment invisibles et inaccessibles. Or, s’il ne s’y trouve guère de chefs-d’œuvre, son niveau est pourtant, pendant vingt ans au moins, très supérieur à celui de la RFA (sans parler des films du IIIe Reich). »

Bernard Eisenschitz, Le Cinéma allemand, Nathan Université, Paris, 1999.

 

La DEFA est fondée en 1946. Elle témoigne de la volonté des autorités soviétiques de relancer la production cinématographique dans leur zone d’occupation dans l’est du pays, notamment comme support de propagande. La DEFA devient propriété de l’état en 1950 peu après la fondation de la République démocratique allemande.

Les assassins sont parmi nous est historiquement le premier film produit par la DEFA. Son tournage débuta avant même la création du studio. Il reste aussi l’un des meilleurs – la DEFA a produit près de 700 longs métrages jusqu’en 1990. Le film de Wolfgang Staudte se déroule dans les ruines de Berlin au lendemain de la capitulation. Un médecin alcoolique traumatisé par ce qu’il a vu pendant le conflit, découvre qu’un ancien officier nazi, qu’il croyait mort, a retrouvé ses fonctions de directeur d’usine dans la vie civile, dynamique protagoniste de la reconstruction économique du pays. Le médecin est le seul à savoir que cet homme, respectable père de famille, est un criminel de guerre dont les exactions sont demeurées impunies. Le médecin ourdit alors un projet de vengeance, pour que justice soit faite, mais aussi pour retrouver sa dignité et sa volonté de continuer à vivre malgré les horreurs du nazisme. Le film de Staudte est visuellement puissant, très marqué par l’héritage expressionniste et le cinéma de Fritz Lang. Le titre du film renvoie au sous-titre du chef-d’œuvre de Fritz Lang M réalisé en 1931. Déjà les « meurtriers parmi nous » désignaient les nazis aux portes du pouvoir chez Lang, de manière moins explicites que chez Staudte. Les assassins sont parmi nous participe à la création d’un « cinéma des ruines » qui explore les plaies béantes de la défaite et tente d’exorciser les fantômes du IIIème Reich.

Contrairement aux films produits en RFA après-guerre il ne cherche pas à déculpabiliser la population allemande d’avoir cédé à la fascination – et à l’exercice du mal, en reportant la faute sur quelques hauts dirigeants, dans un mélange d’oubli et de contrition, mais invite au contraire à la dénazification complète du pays et aux procès des criminels de guerre. Cette histoire de vengeance personnelle se transforme in extremis en volonté de justice, seul ciment possible d’une réconciliation nationale, vraisemblablement par volonté du bureau de contrôle soviétique. Remarquablement mis en scène, Les assassins sont parmi nous offre à Hildegard Kneff (photo en tête de texte, avec Ernst Wilhelm Borchert) l’un de ses premiers grands rôles, celui d’une jeune femme rescapée d’un camp de déportation, amoureuse du médecin et qui incarne l’espoir et le renouveau de l’Allemagne, seule présence lumineuse au milieu de vieillards et de spectres.

 

 

 

 

 

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