Olivier Père

Rolling Thunder de John Flynn

Tandis que la Cinémathèque française rend un hommage mérité au cinéaste américain John Flynn du 15 juillet au 2 août avec la rétrospective de ses films Wild Side propose en DVD et Blu-ray Pacte avec un tueur (Best Seller, 1986) sympathique polar écrit par Larry Cohen et interprété par Brian Dennehy et James Woods, et surtout Rolling Thunder (1977) accompagné d’un livre de Philippe Garnier.

Wild Side avait déjà édité il ya quelques mois Echec à l’organisation (The Outfit, 1973) premier titre de gloire de John Flynn, excellente adaptation d’un roman de Donald Westlake avec Robert Duvall, Joe Don Baker et Robert Ryan.

Quant à Rolling Thunder, voici enfin une formidable occasion de revoir chez soi dans des conditions optimales l’un des chefs-d’œuvre de contrebande du cinéma américain, objet d’un culte fervent de la part de certains cinéphiles (Tarantino avait baptisé sa société de distribution vidéo en hommage au film, et le cite dans Pulp Fiction) et quasiment invisible en France. Inédit en salles chez nous, le film avait été diffusé discrètement à la télévision sous le titre Légitime violence.

Rolling Thunder conjugue les talents de John Flynn, cinéaste héritier de Robert Aldrich et de Don Siegel et du scénariste Paul Schrader, qui écrit Rolling Thunder deux ans après son chef-d’œuvre Taxi Driver, mis en scène par Martin Scorsese. Schrader devait initialement réaliser lui-même Rolling Thunder avant que le producteur Lawrence Gordon lui retire le projet au profit de Flynn, jugé plus fiable.

Taxi Driver et Rolling Thunder explorent les thèmes de la paranoïa, de la solitude et de la violence et prennent comme personnage principal un vétéran du Vietnam, mais en inversant le postulat de base et le décor. Dans Rolling Thunder, un soldat couvert de médailles est reçu comme un héros dans une petite ville de la campagne américaine, avec trois autres compagnons. Prisonniers de guerre dans un camp militaire, ils rentrent au pays complètement déphasés après plusieurs années loin de leurs familles. William Devane est le Major Charles Ranes, shérif dans le civil. En son absence, sa femme a connu un autre homme et lui annonce son intention de divorcer. Son fils, âgé d’une dizaine d’années, n’a aucun souvenir de son père, parti au Vietnam quand il était tout petit. C’est donc un environnement conjugal sinistré qui attend Ranes, qui dort dans un petit local qui sert de dépôt d’armes et de munitions et évoque la cellule où il fut méthodiquement torturé par les Viêt-Cong. Ranes explique à l’amant de sa femme que pour survivre à la torture pendant sept longues années dans le fameux « Hanoi Hilton », il a appris à développer une véritable insensibilité – et une forme de plaisir – en face de la douleur physique. Il lui en fait même la démonstration, en lui expliquant le supplice de la corde auquel il était soumis.  Ranes, fêté comme un héros de guerre, reçoit de la part des autorités une forte somme en pièces d’argent. Il attire la convoitise de gangsters qui tuent sa femme et son fils sous ses yeux et détruisent sa main en la passant dans le broyeur d’un évier. Ranes survit à ses blessures, un crochet en métal au bout du bras droit. Rolling Thunder s’inscrit dans le filon du cinéma d’exploitation d’auto-défense (Justice sauvage de Phil Karlson version rurale, Un justicier dans la ville de Michael Winner version urbaine) sur lequel viennent se greffer les obsessions existentialistes de Schrader. Le scénariste invente avec Ranes un personnage insensible, mort selon ses propres mots dans les geôles Viêt-Cong. C’est une sorte de zombie qui revient sur le sol américain (à l’instar du film d’horreur de Bob Clark sur le même sujet, Le Mort-vivant), ce qui explique son impassibilité à la nouvelle de l’infidélité de sa femme, et sa résistance à la douleur physique. Seule la mort de son fils provoquera en lui un désir de vengeance froide, qu’il accomplira méthodiquement avec l’aide d’une jeune femme amoureuse de lui (et qu’il utilise sans scrupule) et Johnny son ancien compagnon d’arme déboussolé qui s’ennuie à mourir depuis son retour dans sa famille et accueille avec soulagement cette invitation à la violence. Il s’agit d’un des meilleurs scénarios de Schrader (avec Obsession et The Yakuza) et un titre important du cinéma américain des années 70, magnifiquement interprété par William Devane, Linda Haynes et Tommy Lee Jones, avec un massacre expiatoire final qui fait référence à la fois à Taxi Driver et à La Horde sauvage. Les deux hommes, symboliquement vêtus de leurs uniformes, retrouvent les tueurs dans un bordel à la frontière mexicaine et les éliminent un à un, dans une fusillade sanglante. Réplique d’anthologie lorsqu’une prostituée demande à Johnny ce qu’il va faire : « I’m gonna kill a bunch of people ». Aucune afféterie stylistique dans la mise en scène de John Flynn, qui n’utilise pas les ralentis popularisés par Peckinpah. Ce grand film devrait voir le nombre de ses admirateurs augmenter grâce à cette belle édition française, avec en bonus un entretien passionnant avec Lawrence Gordon qui revient sur la genèse de Rolling Thunder et ses déboires de distribution. Rejeté par la Fox après une projection test catastrophique au cours de laquelle les spectateurs furent horrifiés à la vue du plan de la main de Ranes transformée en moignon sanglant (plan coupé par la suite), le film fut récupéré par AIP (American International Pictures) compagnie indépendante toujours à l’affut d’un bon coup.

William Devane dans Rolling Thunder

William Devane dans Rolling Thunder

 

Rolling Thunder sera aussi projeté demain mercredi 15 juillet à 20h à la Cinémathèque française, et en 35mm s’il vous plaît, salle Henri Langlois pour l’ouverture de la rétrospective John Flynn (seconde projection le vendredi 24 juillet à 21h45).

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