Olivier Père

Une nuit en enfer de Robert Rodriguez

ARTE diffuse lundi 8 juin à 22h55 Une nuit en enfer (From Dusk Till Dawn, 1996) de Robert Rodriguez dans le cadre de ses soirées « frissons » et pour accompagner deux pépites du cinéma bis mexicain, elles aussi adeptes du mélange des genres et programmées dans la case trash : La Malédiction de la momie aztèque (1957) le jeudi 11 juin et Santo et Blue Demon contre Dracula et le loup-garou (1973) le 18 juin. Une nuit en enfer est avec True Romance et Tueurs nés l’un des trois scripts écrits par Quentin Tarantino à l’orée de sa carrière et dont la mise en scène fut confiée à d’autres réalisateurs. Si le résultat final de Tueurs nés échappa au contrôle du jeune scénariste, dépassé par des considérations « artistiques et politiques » de Oliver Stone divergentes des siennes, True Romance et Une nuit en enfer, fleurons de la culture vidéo club du début des années 90, vus par les adolescents du monde entier, obéissent à la même vision du cinéma, référentielle, ludique et décomplexée, qu’un projet beaucoup plus ambitieux comme le futur dyptique Kill Bill. Une nuit en enfer du sympathique cancre Robert(o) Rodriguez, écrit, produit et interprété (il se réserve le rôle d’un tueur psychopathe) par Tarantino est un hommage aux films d’horreur italiens des années 80 (en particulier les deux Démons de Lamberto Bava produits par Dario Argento), une blague de potache très divertissante qui possède la qualité de ne pas se prendre au sérieux. Son scénario fut conçu comme un hommage au cinéma d’exploitation des années 70 et 80, quand personne ne s’y intéressait vraiment hormis les fans de séries B et Z, tandis que Rodriguez a évoqué un folklore vampirique typiquement mexicain (on le croit sur parole). Le film est plus curieux qu’il n’y paraît en raison de sa construction. Scindé en deux parties presque égales, il commence comme un film noir à la Peckinpah, avec la cavalcade sanglante de deux frères braqueurs qui kidnappent une famille et s’enfuient vers le Mexique, et se conclut comme un huis clos gore où nos antihéros débarquent dans un bouge infesté de vampires latinos et se livrent à un massacre en règle dans la grande tradition des films de démons et de zombies, prétexte à un déluge de maquillages spéciaux, d’hémoglobine et de fluides visqueux. Cette coupure aussi violente qu’inattendue, inexplicable et très surprenante dans le contexte d’un pastiche de film de drive-in, annonce la coupure qui interviendra au milieu de Boulevard de la mort, l’un des plus beaux films – sinon le plus expérimental – de Tarantino. Mais il y eut quelques précédents comme Course contre l’enfer de Jack Starrett en 1975, sorte de road movie d’action qui se terminait en thriller d’épouvante. Véritable fantasme de « geek » cinéphile, Une nuit en enfer démontre que le système Tarantino fonctionnait déjà à plein régime en 1994 et que ce film souvent considéré comme un navet est plus symptomatique de son approche du cinéma qu’il n’y paraît, même s’il n’osa pas le réaliser à l’époque, le jugeant sans doute trop régressif pour figurer sur son CV de cinéaste. Rien n’y manque, y compris une scène de fétichisme du pied. Comme plus tard dans Jackie Brown ou Kill Bill, la distribution mêle acteurs à la mode (c’est le premier rôle conséquent sur le grand écran de George Clooney, à l’époque vedette de la série « Urgence »), icônes historiques du cinéma d’exploitation figurant dans le panthéon personnel de Tarantino (Fred Williamson, John Saxon, Michael Parks, le maquilleur Tom Savini), sans oublier le vieux complice et père de substitution Harvey Keitel.

 

Une nuit en enfer est aussi disponible en Replay sur ARTE+7.

Salma Hayek dans Une nuit en enfer

Salma Hayek dans Une nuit en enfer

 

Malheureusement l’originalité et le petit talent de Robert Rodriguez se sont depuis évaporés dans une série de très mauvais films de plus en plus paresseux et cyniques.

 

 

Harvey Keitel, Fred Williamson, George Clooney et Tom Savin dans Une nuit en enfer

Harvey Keitel, Fred Williamson, George Clooney et Tom Savini dans Une nuit en enfer

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