Olivier Père

Cannes 2015 Jour 5 : L’Homme irrationnel de Woody Allen (Hors Compétition)

Chaque année à Cannes on aime un film contre vents et marées, un peu seul contre tous. Chaque année, à Cannes ou ailleurs, Woody Allen livre un film avec la régularité d’un métronome, avec au générique quelques-uns des acteurs anglo-saxons les plus en vue. Aujourd’hui Joaquin Phoenix, toujours excellent et affublé d’une bedaine de poivrot et d’une hygiène de vie qu’on devine douteuse, ce qui ne semble en rien diminuer son sex appeal auprès de ses étudiantes et de toutes les femmes des environs. Woody Allen n’a certes pas besoin d’être défendu au point où il en est de sa carrière, et il doit se moquer comme de tout le reste de la réception critique de ses films. Mais « le dernier Allen » – pas seulement le nouveau film, mais toute la décennie qui le précède – n’est pas sans nous déplaire. Ses scénarios s’apparentent davantage à des pièces de théâtre ou des courts romans dialogués, sortes de « contes moraux ». A la différence de Rohmer Woody Allen n’a certes pas de projet esthétique affirmé avec une dimension picturale ou plastique au moins aussi forte que les conflits exposés dans ses films et on sent bien que l’image est confiée aux meilleurs chefs op du monde (actuellement Darius Khondji, ici très inspiré avec une palettes de couleurs chaudes) libres d’en faire ce qu’ils veulent, du moment que c’est beau et que les comédiens sont mis en valeur – surtout les actrices, la nouvelle égérie allenienne Emma Stone étant un régal pour les yeux et les oreilles.

Emma Stone et Joachin Phenix dans L'Homme irrationnel de Woody Allen

Emma Stone et Joachin Phenix dans L’Homme irrationnel de Woody Allen

Le côté séduisant et ultra confortable (on peut lire bourgeois) du film devient ainsi un paravent incapable de dissimuler la noirceur et la misanthropie radicale de l’auteur de plus en plus obsédé par un thème qui traverse et irrigue certains de ses meilleurs films : le meurtre.

Tandis que l’antihéros de Match Point tuait par arrivisme, ceux du Rêve de Cassandre pour l’argent, celui de L’Homme irrationnel (Irrationnal Man) échafaude un plan criminel par idéalisme : débarrasser le monde d’un individu nuisible et malfaisant, un juge corrompu dont il a découvert l’existence au hasard d’une conversation dans un restaurant. A-t-on le droit de supprimer un salaud ? C’est donc un acte existentiel que décide le personnage interprété par Joachin Phoenix (un professeur de philosophie dépressif), retrouvant le respect de soi et le goût à la vie grâce à un meurtre parfait. Mais le meurtre parfait n’existe pas et la seconde partie du film va minutieusement démonter à la fois le plan et les théories du philosophe assassin, qui cite volontiers Kant, Beauvoir et Sartre. Nous sommes en terrain connu et L’Homme irrationnel est une nouvelle variation autour de Crime et Châtiment de Dostoïevski, série initiée par Crimes et Délits, l’un des meilleurs films de Allen, à la fin des années 80. Woody Allen, à l’instar de Guitry, peut broder à l’infini des histoires sombres et drôles à la fois, réactiver toutes les quatre saisons son petit théâtre de la cruauté, des dérisoires passions humaines et des dissertations désabusées sur le mal, enchanter les uns et lasser les autres. On a plutôt envie de le laisser faire et de se laisser faire.

 

 

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