Olivier Père

Mr. Klein de Joseph Losey

Les Acacias ont ressorti en salles mercredi 26 novembre en version restaurée Mr. Klein (1976) de Joseph Losey.

En 1952 Joseph Losey investi aux côtés du Parti communiste américain est contraint de s’exiler en Grande-Bretagne à cause du maccarthysme. Il y poursuit sa carrière avec succès, donnant à ses films une orientation moderniste ouvertement intellectuelle et engagée.

En 1976 Losey vient de tourner plusieurs films mineurs et ses titres de gloire sont loin derrière lui lorsque Alain Delon, qu’il avait dirigé dans L’Assassinat de Trotsky, lui apporte le scénario de Mr. Klein, écrit par Franco Solinas, qu’il compte produire et interpréter. Delon a l’idée de faire de Mr. Klein le premier film en langue française de Losey. Idée courageuse mais brillante de Delon qui offre ainsi au cinéaste l’occasion de retrouver un projet à la hauteur de son talent et en phase avec ses préoccupations d’artiste, notamment sur les thèmes du racisme et du rapport entre l’individu et la société, déjà au cœur de son premier long métrage Le Garçon aux cheveux verts.

Mr. Klein aborde un épisode alors refoulé et honteux de l’histoire de France durant l’occupation allemande, la rafle du Vélodrome d’Hiver le 16 juillet 1942, soit la plus grande arrestation massive de Juifs en France durant la Seconde Guerre mondiale, qui mobilisera à Paris 7000 gendarmes et policiers français. En deux jours plus deux 13000 Juifs français et étrangers dont 4115 enfants seront arrêtés et déportés dans des camps en Allemagne. Moins de cent personnes – et aucun enfant – survivront à la déportation. Deux ans auparavant un autre film français Les Guichets du Louvre de Michel Mitrani traitait de manière plus directe de la rafle du Vel d’Hiv.

En effet le film de Losey montre la préparation et finalement l’exécution de cette rafle en marge d’une histoire personnelle indépendante – en apparence – du drame collectif qui se trame en secret. C’est la grande qualité du scénario de Franco Solinas et de la mise en scène de Joseph Losey de traiter de l’antisémitisme dans la France des années 40 et plus généralement de la question de l’identité juive en imaginant une aventure aux dimensions métaphysiques, souvent à la lisière du fantastique, notamment avec plusieurs allusions à la Cabbale.

Un affairiste alsacien et catholique qui profite avec cynisme du besoin d’argent des Juifs qui souhaitent fuir le pays est victime d’une confusion d’identité avec un homonyme juif. Voulant clarifier la situation auprès des autorités Robert Klein s’enfonce tout seul dans un cauchemar administratif – on pense à Kafka – qui le conduira à partager le destin funeste de son double invisible, en ne cessant jamais de vouloir le retrouver.

Si la reconstitution historique est superbe, elle ne vise pas à l’authenticité documentaire et même la scène finale du Vélodrome d’Hiver se permet quelques licences avec la réalité. La direction artistique élabore des espaces claustrophobes qui expriment l’isolement des personnages de grands bourgeois décadents peu concernés par l’occupation allemande, ou au contraire l’angoisse de l’enfermement et du piège. La stylisation de la mise en scène de Losey cherche avant tout à nous plonger dans les méandres de la personnalité et des réactions complexes de Klein perdu dans sa recherche de la vérité. Nous sommes dans un film cerveau contemporain du Locataire de Roman Polanski (réalisé la même année, autre grand film allégorique sur le dédoublement et la persécution des Juifs) et de Providence d’Alain Resnais (sorti un an plus tard, avec aussi des scènes évoquant sur un mode onirique un régime policier et la déportation).

Mr. Klein est autant un film de Joseph Losey qu’un film de Delon. Son interprétation est géniale mais surtout l’acteur parvient à inscrire le personnage de Klein au sein d’une filmographie qui compte certaines obsessions et motifs récurrents. Certes un fossé sépare Mr. Klein de Zorro de Duccio Tessari, Plein soleil de René Clément de La Tulipe noire de Christian-Jaque, mais les thèmes du double et de la substitution, centraux dans la filmographie de Delon, traversent aussi bien le versant populaire de sa carrière que les films des plus grands auteurs avec lesquels il travailla. Losey n’a pas besoin d’abuser des plans de miroirs dans Mr. Klein, il lui suffit de scruter le visage de Delon pour signifier la crise existentielle que traverse Robert Klein. Sans parler de l’intelligence des dialogues et du talent des acteurs qui entourent Delon dans une foule de personnages secondaires.

Mr. Klein est non seulement le chef-d’œuvre de la période européenne de Losey mais aussi le meilleur film du Delon acteur producteur des années 70, lorsque la star française décide de régner en maître absolu sur les films dont il tient le haut de l’affiche. Mais Losey, choisi par Delon, est bien davantage qu’un simple exécutant au service de sa vedette. Delon le sait et l’accepte, car il admire Losey comme il a admiré Clément, Visconti et Melville, et les tensions et accrochages seront moins nombreux que d’habitude sur le tournage du film. Mr. Klein fut un échec public au moment de sa sortie mais ni Losey, ni Delon – si l’on excepte Nouvelle Vague de Godard – ne retrouveront un tel niveau d’excellence cinématographique dans la suite de leurs carrières respectives.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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