Olivier Père

Tirez sur le pianiste de François Truffaut

Marie Dubois est décédée mercredi 15 octobre à l’âge de 77 ans. L’actrice fait ses débuts sous les auspices de la Nouvelle Vague en interprétant le rôle féminin principal de Tirez sur le pianiste (1960, photo en tête de texte avec Charles Aznavour) de François Truffaut, suivis d’apparitions dans Une femme est une femme de Jean-Luc Godard, Jules et Jim toujours de Truffaut et Le Signe du lion de Eric Rohmer. Elle ne néglige pas pour autant le cinéma commercial de l’époque puisque dans les années 60 la retrouve aussi au générique du Monocle noir de Georges Lautner, La Chasse à l’homme de Edouard Molinaro, Week-end à Zuydcoote de Henri Verneuil, Les Grandes Gueules de Robert Enrico et surtout La Grande Vadrouille de Gérard Oury, l’un des plus grands succès publics de l’histoire du cinéma français. La carrière de Marie Dubois se poursuit au cinéma et à la télévision et elle continue de côtoyer jusqu’à l’orée des années 2000 des auteurs de talent qui lui offrent des rôles marquants, entre drame et comédie : Louis Malle (Le Voleur), Michel Soutter (Les Arpenteurs), Claude Sautet (Vincent, François, Paul… et les autres), Alain Corneau (La Menace), Luchino Visconti (L’Innocent), Alain Resnais (Mon oncle d’Amérique)…

La disparition de Marie Dubois coïncide tristement avec l’exposition et la rétrospective consacrées à François Truffaut à la Cinémathèque française, à l’occasion du trentième anniversaire de la mort de l’auteur des Quatre Cents Coups. C’est Truffaut qui découvrit la jeune actrice et lui suggéra son nom de scène, d’après le titre d’un roman de Jacques Audiberti, auteur que le cinéaste appréciait particulièrement.

Afin de rendre hommage à Marie Dubois ARTE bouleverse sa programmation et ajoute un titre supplémentaire au cycle consacré à François Truffaut en diffusant Tirez sur le pianiste, le premier film de l’actrice, le mercredi 22 octobre à 20h50.

C’est l’un des meilleurs films de Truffaut, le plus représentatif de la Nouvelle Vague avec des audaces esthétiques et narratives, pas très éloignées de celles de A bout de souffle de Jean-Luc Godard réalisé la même année, qui tranchent avec la suite de la filmographie de l’auteur de Jules et Jim.

Un concertiste virtuose (Charles Aznavour), brisé par le suicide de sa femme, a changé de vie et d’identité et est devenu pianiste de bar. Un soir son destin le rattrape lorsqu’il est mêlé à une affaire de vol par la faute de l’un de ses frères, un voyou poursuivi par deux anciens complices. L’amour que lui porte une jeune serveuse, Lena (Marie Dubois), le conduira accidentellement au meurtre. Le deuxième long métrage de François Truffaut, hommage au cinéma noir américain et bouleversante histoire d’amour et de mort, associe fondus enchaînés et images superposées – la photographie noir et blanc quasi expérimentale est signée Raoul Coutard, chef opérateur emblématique de la Nouvelle Vague – qui créent une atmosphère entre réalisme et fantaisie. Le style et le ton du film en font un titre unique dans l’œuvre de François Truffaut, qui part d’une histoire extravagante pour déboucher sur le lyrisme et le tragique, et pratique un étonnant mélange des genres, passant avec virtuosité de la drôlerie loufoque à l’émotion la plus poignante. Du propre aveu de Truffaut – qui détestait les films de gangsters – le projet de Tirez sur le pianiste visait à retranscrire le décalage poétique des traductions des « séries noires » américaines publiées chez Gallimard ou les versions doublées des séries B hollywoodiennes, sans volonté parodique mais au contraire avec l’idée de souligner les points communs entre différentes admirations du cinéaste, David Goodis dont il adaptait ici le roman, Jean Cocteau, Jacques Audiberti ou Raymond Queneau. Le film dresse le portrait d’un antihéros timide (excellent Aznavour) entouré de personnages masculin louches ou pathétiques tous obsédés par les femmes : plusieurs monologues ont pour sujet l’attirance sexuelle, l’érotisme et la frustration. Tandis que ses truands parlent mal des femmes (Scorsese et surtout Tarantino se souviendront des dialogues digressifs et délirants de Tirez sur le pianiste) Truffaut les filme merveilleusement, et même spectaculairement, comme dans cette scène de lit où Charles Aznavour drape les seins somptueux de Michèle Mercier, « parce qu’on est au cinéma ».

Les trois personnages féminins sont magnifiques, interprétés avec grâce et talent par Nicole Berger (Théresa, l’épouse d’Edouard dans le long flash-back), Michèle Mercier incroyablement sensuelle (la prostituée Melissa) et Marie Dubois, inoubliable dans le rôle de la blonde amante Lena, à la fois volontaire et pure, violente et virginale.

 

Nous vous invitons à consulter notre dossier spécial François Truffaut :

http://cinema.arte.tv/fr/dossier/francois-truffaut

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