Olivier Père

Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone

ARTE diffuse dans une version restaurée Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, 1968) de Sergio Leone dimanche 7 septembre à 20h45, tandis que la Cinémathèque française consacre une rétrospective complète au cinéaste italien entre le 3 et le 20 septembre.

Il était une fois dans l’Ouest est l’aboutissement de la dimension opératique du cinéma de Sergio Leone, qui transforme une histoire de vengeance en fresque intime sur l’édification du chemin de fer – et plus largement de l’Amérique – liée au crime et à la violence, à travers les destins croisés de personnages archétypaux qui représentent chacun un visage de l’Ouest sauvage bientôt rattrapé par la civilisation.

Soucieux de se renouveler pour ce qu’il appréhende comme ses adieux au western – il rêve déjà à Il était une fois en Amérique – Leone fait appel à deux jeunes scénaristes à l’orée de leurs carrières : Bernardo Bertolucci qui a déjà réalisé ses deux premiers films et Dario Argento encore critique de cinéma. La cinéphilie et la passion des trois hommes pour le western classique américain leur permet de concocter une histoire presque entièrement constituée de citations et de références aux chefs-d’œuvre hollywoodiens, dans la caractérisation des personnages – celui de Jill interprété par Claudia Cardinale est une relecture de Vienna dans Johnny Guitare – comme dans le cadre et les situations – Union Pacific de De Mille sur la liaison des côtes est et ouest grâce au chemin de fer. Ce qui rend l’ensemble si original, dépassant l’hommage, le pastiche ou le fétichisme, c’est la mise en scène de Leone, constituée de blocs de temps démesurément dilatés, comme le montre d’emblée la fameuse scène d’ouverture, l’attente de l’arrivée du train par trois patibulaires tueurs. A partir d’une trame minimaliste qui va peu à peu prendre des proportions gigantesques, Leone choisit de construire son film autour de l’attente, de temps morts ou de joutes verbales qui préfigurent et retardent les duels et autres cérémonies mortelles. C’est la dimension furieusement (post)moderne du cinéma de Leone, contemporain de Fellini, Antonioni, Visconti et Pasolini, qui préfère sublimer les espaces désertiques, les figures burinées et hiératiques et s’amuse à reléguer toutes les scènes à faire – attaques, bagarres et fusillades – hors champ, ou dans les interstices de ses très longues séquences en apparences déconnectées, trouées par des béances narratives ou des flashbacks oniriques – ici la maigre silhouette floue aux allures de sculpture de Giacometti qui s’avance lentement au son des accords gémissants de Ennio Morricone – et qui finissent par former une vaste chanson de geste sur l’homme archaïque, « cette race ancienne » confronté à l’arrivée brutale et corruptrice du capitalisme et de l’ère industrielle.

Les trois premiers westerns de Leone avec Clint Eastwood se caractérisaient par leur cynisme et aussi une volonté parodique, avec des effets qui pouvaient évoquer la comédie ou la bande dessinée, dans l’air du temps d’une certaine culture pop. La mélancolie y faisait son entrée progressive, culminant avec la mort du jeune soldat nordiste dansLe Bon, la brute et le truand mais vite tempérée par les gesticulations éructantes de Tuco. Dans Il était une fois dans l’Ouest, le sarcasme se transforme en soupir, même si le cinéaste romain ne résiste pas à certains gags visuels, et autres blagues et détails truculents. Le film de Leone ne cache pas sa dimension funèbre, il l’affiche au contraire de manière ostentatoire, aidé par la musique de Morricone : « Something to do with death » comme le dit le personnage de Cheyenne à la fin du film à propos de Harmonica, mais cette sentence pourrait s’appliquer aux principaux protagonistes du film qui ont tous rendez-vous avec la mort, qu’ils la donnent ou la reçoivent.

Formaliste travaillant aux confins de l’expérimentation et de l’abstraction – la peinture futuriste n’est pas loin – obsédé par le moindre accessoire ou vêtement, Leone était aussi un directeur d’acteur magistral. Parler de Il était une fois dans l’Ouest sans évoquer Henry Fonda, Jason Robards, Claudia Cardinale, Charles Bronson, tous inoubliables, ce serait négliger que le chef d’orchestre Leone envisageait le cinéma comme un art total, porté par une écriture visuelle virtuose mais aussi par le magnétisme de grandes vedettes qu’il savait utiliser à contre-emploi (Fonda, Robards), ou au contraire dont il sublimait la sensualité ou le monolithisme (Cardinale, Bronson).

 

 

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