Olivier Père

Partie de campagne de Jean Renoir

Partie de campagne (titre plus exact que Une partie de campagne qui était celui du projet initial) de Jean Renoir est ressorti hier dans les salles en version restaurée, grâce à Solaris Distribution. Réalisé en 1936, le film ne connut une exploitation commerciale que dix ans plus tard. Renoir en avait interrompu le tournage, en raison des mauvaises conditions météorologiques qui gâchèrent le déroulement des prises de vues et d’un budget modeste qui ne prévoyait pas des dépassements. Renoir partit sur un autre projet, Les Bas-fonds. La guerre et le départ de Renoir à l’étranger ne laissèrent plus aucune chance au tournage de reprendre et au film d’être terminé. Réputé inachevé (Marguerite Renoir et Marinette Cadix ne purent monter après-guerre que 40 minutes de métrage), Partie de campagne est pourtant un modèle d’adaptation littéraire, ainsi qu’un chef-d’œuvre cinématographique de liberté et d’audace.

Par une torride journée d’été, la famille Dufour quitte Paris pour Bezons-sur-Seine. Monsieur Dufour accompagné de sa femme, sa belle-mère, sa fille et son commis s’arrête dans une charmante auberge en bord de Seine. Tandis que le déjeuner sur l’herbe est dressé, deux canotiers viennent à leur rencontre. La chaleur et le vin aidant, il est décidé que Madame Dufour et sa fille, Henriette, iraient faire une virée en barque sur les eaux du fleuve en compagnie des deux jeunes hommes. On comprend aisément ce qui séduisit Renoir dans la nouvelle de Maupassant : la sensualité qui déborde du cadre étouffant de la famille, le premier éveil, grâce à la nature, des sens d’une jeune fille, et surtout la rivière, charriant les êtres comme des bouchons, au gré du courant, avec plus ou moins de bonheur. Seul Renoir est parvenu à exprimer au cinéma l’idée la plus haute du naturalisme, posant sur le monde un regard noir, cruel mais sans complaisance, avant d’atteindre la sérénité des œuvres de vieillesse au panthéisme joyeux comme Le Déjeuner sur l’herbe, contrepoint optimiste et tardif de Partie de campagne, où l’érotisme est enfin source de bonheur.

Et puis il y a Sylvia Bataille, pure apparition, abolie par son aura angélique de la médiocrité bourgeoise qui l’accompagne, « devenir femme » flottant entre ciel et terre (la scène où les deux amis la contemplent sur sa balançoire procure un vertige aérien qui n’est pas seulement dû à la vitesse), détentrice du plus bouleversant regard caméra de l’histoire du cinéma. Elle possède la modernité des actrices instinctives, dont le jeu date immédiatement celui de ses partenaires. Il ne faut craindre, concernant Renoir, aucun superlatif : si les grands films sont toujours des documentaires sur les acteurs, Partie de campagne est le plus grand des films.

 

 

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