Olivier Père

Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel

ARTE diffuse ce célèbre film de Luis Buñuel ce soir à 20h50. Des amis issus de la grande bourgeoisie et aux activités pas toujours très honnêtes (deux d’entre eux trafiquent de la drogue avec l’ambassadeur d’une dictature imaginaire d’Amérique latine, tandis que maris et épouses se trompent mutuellement) s’invitent à diner régulièrement mais sont à chaque fois empêchés par des évènements saugrenus. Le Charme discret de la bourgeoisie (1974), constitué de nombreux récits et rêves imbriqués les uns dans les autres adopte une construction répétitive, l’une des obsessions de Buñuel. L’invitation à diner est l’une des habitudes de la bourgeoisie, une convention de cette classe sociale ici tournée en ridicule. Buñuel est attentif à ne pas aller trop loin dans le fantastique ou l’absurde, afin de maintenir un équilibre fascinant entre l’incroyable, la surprise et l’impossible.

Assisté de son complice Jean-Claude Carrière, Buñuel donne libre cours à son humour massacrant et iconoclaste, sans cacher sa fascination pour les rituels sociaux de la bourgeoisie. Les principaux objets d’études sont le couple et l’infidélité, le clergé, l’armée, les idées réactionnaires, l’hypocrisie… C’est plus que jamais du cinéma d’entomologiste, et la méticulosité de la construction débouche sur l’onirisme. Le même principe des associations d’idées, du cadavres exquis et du rêve raconté, avec une construction faussement alternative qui répond en fait à un agencement musical et proche des mécanismes de l’inconscient sera repris et poussé à son paroxysme dans le film suivant de Luis Buñuel Le Fantôme de la liberté (1974), film moins parfait que Le Charme discret de la bourgeoisie, mais d’une liberté absolue comme son titre l’indique.

 

Le même soir à 22h30, on pourra voir le dernier film de Luis Buñuel, Cet obscur objet du désir (1977), adaptation libre et contemporaine de « La Femme et le Pantin » de Pierre Louÿs déjà porté plusieurs fois à l’écran. Pour la dernière fois devant la caméra du cinéaste espagnol Fernando Rey incarne un homme vieillissant tombant dans les filets d’une belle jeune femme. Elle a la particularité d’être interprétée par deux actrices, Angela Molina et Carole Bouquet, le feu et la glace, sans que cette incongruité ne soit jamais mentionnée ni dans les dialogues ni dans le scénario. Le tournage avait débuté avec Maria Schneider dans le rôle de Conchita. Mais les choses se passèrent très mal et Buñuel décida de se séparer de la jeune actrice. Ne voulant ou ne pouvant pas choisir entre les deux nouvelles postulantes, il les engagea toutes les deux. Ultime pirouette surréaliste, preuve que le cinéma est fait pour transgresser les règles et les conventions, mais toujours avec douceur et subtilité. Au point que certains spectateurs ne se rendirent pas compte durant la projection que Conchita était incarnée par deux actrices à l’apparence physique pourtant différente.

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