Olivier Père

Sugarland Express de Steven Spielberg

Dans le cadre de sa programmation spéciale Festival de Cannes ARTE diffuse ce soir Sugarland Express (The Sugarland Express, 1974) à 20h50. Pourquoi ? Pour trois raisons principalement.

Parce que le film, présenté au Festival de Cannes en sélection officielle, obtint le prix du scenario (signé par Hal Barwood et Matthiew Robbins, les futurs auteurs du Dragon du lac de feu et de Contact mortel.)

Parce qu’il n’aura échappé à personne que le Président du jury de la compétition officielle du Festival de Cannes se nomme cette année Steven Spielberg.

Parce que c’est un très bon film, l’un des plus méconnus de son auteur mais aussi l’un des plus passionnant, témoignant d’une maestria impressionnante pour un premier long métrage de cinéma (Duel, réalisé trois ans plus tôt, était en effet un film de télévision, dont la réussite exceptionnelle motiva une distribution en salles dans de nombreux pays incluant la France, mais pas les Etats-Unis.) Sugarland Express est inspiré d’une histoire vraie survenue en 1968. Une jeune femme organisa l’évasion de son mari pour qu’ils puissent rejoindre ensemble leur fils confié à une famille d’accueil. Le couple, familier des séjours en prison, avait été en effet privé de son droit de garde, décision considérée comme intolérable par la jeune mère.

Sur un sujet douloureux au dénouement tragique, Spielberg réalise une course poursuite spectaculaire qui tourne au barnum et à la satire des médias lorsque la cavale du couple se transforme en événement national suivi par des centaines de voitures de police mais aussi des milliers de badauds qui sur le bord de la route ou devant leurs téléviseur soutiennent la croisade maternelle de Lou Jean, très bien interprétée par Goldie Hawn. Spielberg déclinera tout au long de son œuvre et sous des formes diverses son obsession de la famille dispersée puis recomposée mais c’est la première et unique fois qu’il met en scène un personnage féminin dans le rôle principal. Le cinéaste américain se cachera ensuite derrière des doubles masculins fantasmatiques, des héros de bandes dessinées ou de la grande histoire américaine, légendaires, célèbres ou anonymes. Il est intéressant de noter que les deux hommes du film, le mari de Lou Jean et le jeune policier que le couple prend en otage, se ressemblent physiquement et partagent la même mollesse, la même immaturité adolescente, incapables d’intervenir efficacement sur le réel, tandis que Lou Jean déborde d’énergie et de conviction.

Sugarland Express

Sugarland Express

Dans une Amérique déboussolée la seule figure paternelle est aussi une figure autoritaire, personnage du capitaine de la police d’abord compréhensif et humain mais surtout manipulateur et trompeur, interprété par le toujours impeccable Ben Jonhson, acteur de la troupe de John Ford. Le film n’obtint pas le succès public escompté et Spielberg en tirera sans doute toutes les leçons, évitant par la suite de déstabiliser son spectateur par des ruptures de ton trop violentes, les fins pessimistes et les ambiances dépressives. L’exagération règne dans Sugarland Express, mais il est une accumulation délirante qui ne doit rien à l’imagination de Spielberg et révèle une dimension terrifiante des Etats-Unis : celles des armes à feu, appartenant à la police mais aussi aux membres de la garde civile et aux particuliers, collections de carabines qui ornent les salons des habitants du Texas où a été tourné le film. Spielberg n’adopte pas de point de vue particulièrement critique sur la question mais il filme l’Amérique comme il le fera plus tard dans 1941 sur un mode encore plus ouvertement grotesque : un terrain de jeu et un stand de tir à ciel ouvert où les adultes se comportent comme des enfants mais où la désobéissance à la loi et la violence ne sont jamais sans conséquences graves.

 

 

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