Olivier Père

Cannes 2013 Jour 6 : Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez (Semaine de la Critique)

Parmi la moisson de premiers et deuxièmes films français cette année à Cannes il en est un qui est sûr de ne pas passer inaperçu : Les Rencontres d’après minuit survient après plusieurs courts métrages réalisés entre 2006 et 2012 par Yann Gonzalez (ancien critique, cinéphile, cinéaste) et qui installaient un univers onirique, sensuel et nocturne : de By the Kiss à Nous ne serons plus jamais seuls en passant par Entracte et Je vous hais petites filles, nous les avions presque tous présentés à la Quinzaine des Réalisateurs puis au festival del film Locarno.

Toujours avec son égérie la superbe liane rousse Kate Moran Yann Gonzalez réussit son passage au long métrage avec un film qui repose entièrement sur un immense désir d’acteurs et de cinéma, qui assume son fétichisme et son formalisme débridé pour composer un poème impur et baroque où il n’est question que de désir, d’amour fou, de transgression et de voyages dans le temps.

Le prétexte est celui d’une pièce de boulevard ou d’un film porno des années 70 : Au cœur de la nuit, un jeune couple et leur gouvernante travestie préparent une orgie. Sont attendus La Chienne, La Star, L’Etalon et L’Adolescent. Au fur et à mesure qu’apparaissent les invités, les langues se délient, les esprits s’échauffent, mais au lieu du passage à l’acte et du déchainement lascif des corps se sont les esprits, les sentiments et les émotions qui s’échauffent. Chacun y va de son histoire, de son traumatisme, de son souvenir, dans un déferlement de mots et d’images sublimes, grotesques, vulgaires, hilarantes, bouleversantes. Dispositif sadien qui tient autant du petit théâtre fassbinderien que des divagations érotomanes de Jess Franco. A ce jeu de masques et de blessures secrètes les acteurs donnent le meilleurs d’eux-mêmes et sont tous formidables. Aux côtés Kate Moran on retrouve des acteurs venus d’horizons divers et tous excellents : Niels Schneider (découvert chez Xavier Dolan), Eric Cantona (étonnant en étalon poète), Fabienne Babe (émouvant retour sous les sunlights), Nicolas Maury (acteur caméléon vu aussi bien dans Les Amants réguliers que Les Beaux Gosses, génial en soubrette perverse et allumée) et deux nouveaux venus qu’on a envie de revoir très vite : la très appétissante Julie Brémond et Alain Fabien Delon, troublant sosie de son père période Sois belle et tais-toi. Cette troupe d’acteurs apporte chair et âme à un film qui exhibe avec fierté ses artifices et ses parfums enivrants, ses décors de carton-pâte et ses éclairages flashy, bijou toc mais au vrai romantisme à mi-chemin entre Mario Bava, Spermula de Charles Matton et Jean Eustache au détour d’un dialogue.

 

Entretien avec Yann Gonzalez

Une célèbre revue de cinéma réclamait récemment plus de lyrisme au cinéma français. Les Rencontres d’après minuit pourrait combler cette attente. As-tu pensé ton premier long métrage comme un manifeste, un étendard auquel pourrait se rallier d’autres cinéastes de ta génération ou un public qui attend autre chose du cinéma (français) contemporain ?

Je sens depuis quelques années un ras-le-bol grandissant des spectateurs et des cinéastes de ma génération. Ceux que je côtoie en tout cas : je pense à des cinéastes amis comme Caroline Deruas, Shanti Masud, Pierre-Edouard Dumora ou Jean-Sébastien Chauvin, mais aussi à Héléna Klotz, Patric Chiha, Mati Diop, et d’autres encore. Le cinéma français est devenu un vaste continent gris et sans passion, gangrené par les desiderata des chaînes de télévision et des néo producteurs aux allures de commerciaux inquiétants. Alors, bien sûr, il y a des résistants : Leos Carax, Claire Denis, ou des cinéastes honteusement marginalisés comme Lucile Hadzihalilovic dont j’adore le premier long métrage, Innocence. Il y a chez chacun d’eux une ambition formelle dont les commissions font souvent peu de cas, lui préférant un scénario bien ficelé et à message social. Mais plus encore que les enjeux plastiques, je crois que ce qui nous excite, c’est le jeu avec le feu, le romantisme incandescent, le mélange des genres, la puissance du rêve et du sentiment. Autant de choses qui font peur aujourd’hui alors qu’elles étaient monnaie courante dans le cinéma des années 20, 70 ou 80. Je n’ai jamais pensé ce film en terme de manifeste, mais s’il peut proposer une issue de secours dans le blockhaus mortifère du cinéma français, je serais heureux que d’autres l’empruntent.

En quoi ton film marque-t-il l’aboutissement, le prolongement de tes courts métrages, en quoi est-il différent selon toi ?

Chaque film est une nouvelle étape, un nouveau pari. Et je crois que le grand enjeu de ce premier long, c’était de tenir un récit sur 1h30, de travailler davantage sur mes personnages et a fortiori, sur ma direction d’acteurs. Je crois aussi que c’est un film plus drôle que la plupart de mes courts. C’était important pour moi d’affirmer cette légèreté, cette grivoiserie, et même le côté limite Z de certaines séquences (en particulier celle avec Béatrice Dalle.) Parce que je crois que l’émotion passe aussi par là, par le ridicule, parce qu’un personnage est encore plus touchant lorsqu’il vacille et que son statut incertain le fait passer en quelques secondes du grotesque au tragique.

Ton film est un rêve de cinéma où il est beaucoup question d’amour absolu défiant le temps et la mort, mais aussi d’amour du cinéma lui-même, avec des citations plus ou moins directes. L’amour du cinéma est-il le combustible de ton film, ou alors l’amour de tes acteurs et de tes personnages est-il le plus fort ?

Alain Fabien Delon

Alain Fabien Delon

Les deux sont intimement liés. Mais lorsque j’écris un scénario, je pense d’abord à mes personnages, à mes acteurs, puis j’essaie dans un second temps de créer un monde en accord avec eux, avec leur sentiment. Peu importe que ce monde soit artificiel ou réel, ce qui compte, ce sont les couleurs, les formes, les trajectoires, les raccords qui vont dessiner les émotions du personnage. Si références il y a (et il y en a quelques-unes, conscientes ou non), elle sont toujours reliées à un état, à un affect. Quand je vais chercher un plan dans La Belle Captive de Robbe-Grillet (la première séquence avec Kate Moran à moto), c’est pour sa grâce érotique et planante, mais je tente aussi d’y injecter la tension et la fébrilité de mon personnage. La citation purement cinéphilique, ça ne m’intéresse pas beaucoup, ça tourne vite à vide.

L’hétérogénéité règne dans le film, du choix des acteurs jusque dans les différents genres, styles et époques que le cinéma traverse. Le désir de stylisation extrême confère-t-il au film son harmonie paradoxale ? Où cherchais-tu à embrasser toute une histoire parallèle du cinéma lyrique, poétique et baroque, de Werner Schroeter à Jess Franco en passant par Adolpho Arrieta et les autres ?

Ce qui me donne envie de faire des films, c’est le raccord improbable, créer une passerelle entre des mondes a priori très éloignés, voire inconciliables. Cet appétit pour l’hétérogénéité vient, je crois, de mon adolescence, où je ne voyais que des films d’horreur (des chefs-d’œuvre de Carpenter aux nanars de Lamberto Bava qui passaient sur La 5 de Berlusconi) avant de découvrir, ébahi, à quinze ou seize ans, les films de Garrel, Vecchiali, Rivette, Duras. Je continue, aujourd’hui, d’aimer passionnément tous ces continents de cinéma et d’y trouver des correspondances (dans le ton, les choix de casting, l’audace). Alors, oui, je dois avouer qu’il y avait une certaine euphorie à tenter de mélanger Nicolas Maury et Eric Cantona, Kate Moran et Jean-Christophe Bouvet, mais aussi Breakfast Club de John Hugues et Zoo Zéro d’Alain Fleischer ou, pour les dialogues, des fragments de Leconte de Lisle et de Tony Duvert. Comme une sorte de patchwork dégénéré et… sentimental (encore et toujours !)

En tant que cinéphile, quel est le film que tu attends le plus à Cannes cette année, qui te fait rêver avant de l’avoir vu, ou que tu as déjà vu et que tu trouves formidable ?

Je suis très curieux de découvrir le nouveau Jodorowsky (Santa Sangre est un de mes films préférés) à la Quinzaine, même si j’ai peur d’être déçu. J’ai aussi hâte de voir les films de Claire Denis et d’Alain Guiraudie dont j’attends beaucoup. Et puis tous les films de cinéastes français de ma génération : Katell Quillévéré à la Semaine, Rebecca Zlotowski à Un Certain regard, Justine Triet à l’ACID, Antonin Peretjatko et Serge Bozon à la Quinzaine… Cette émulation fait un bien fou ! J’espère aussi que je réussirai à m’incruster au Marché pour découvrir L’Etrange Couleur des larmes de ton corps de Hélène Cattet et Bruno Forzani, une autre tentative de film hybride qui m’excite beaucoup plus que les nouveaux Desplechin ou Coen en Compétition…

 

 

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