C’est le muet du mois sur ARTE, ce soir à 0h25 et c’est un pur chef-d’œuvre. Au bonheur des dames (1929) est le dernier film muet réalisé par Julien Duvivier. C’est aussi l’un des sommets de son œuvre toutes périodes confondues et peut-être son meilleur film.
Duvivier bénéficie de moyens considérables pour adapter, à l’époque contemporaine, le roman d’Emile Zola. Un soin particulier est apporté aux décors – signés par le futur réalisateur Christian-Jaque – et le film a également profité des espaces monumentaux des Galeries Lafayette. Au bonheur des dames affiche des les premiers plans son ambition symphonique en montrant l’arrivée d’une jeune provinciale dans la capitale, impressionnée par le rythme trépidant de la vie parisienne, les flux ininterrompus des humains et des machines. Sa fascination culmine avec la découverte d’un très grand magasin « au bonheur des dames » situé en face de la misérable boutique de son oncle, menacé de faillite et de fermeture à cause de la concurrence déloyale de Mouret, patron qui vent du luxe et du rêve pour tous en cassant les prix et en écrasant les petits commerçants.
Le capitalisme, le monopole et la spéculation sont présentés comme les agents inéluctables de la marche vers le progrès et de la transformation du marché mais aussi du paysage urbain. Si l’amour pour son employée humanise le grand patron, son ambition d’un nouveau Paris à l’architecture mégalomane et régi par le profit évoque les délires visionnaires de Métropolis.
Impressionnant de virtuosité et de composition visuelle, d’une invention de chaque instant dans sa mise en scène, capable de combiner la force des productions hollywoodiennes, soviétiques et expressionnistes, Au bonheur des dames regorge aussi de moments intimistes, drôles et mêmes érotiques. Le film doit beaucoup au charme irrésistible de Dita Parlo. A la fois sensuelle et innocente, toujours émouvante, la jeune actrice allemande, ici à l’orée de sa carrière, allait devenir une vedette populaire des deux côtés du Rhin, et participer à deux autres chefs-d’œuvre du cinéma français, L’Atalante de Jean Vigo et La Grande Illusion de Jean Renoir.
Malgré son exceptionnelle réussite, Au bonheur des dames fut un échec commercial car sa sortie coïncida malheureusement avec l’arrivée du cinéma parlant en France. Le public se désintéressait des productions muettes et une sonorisation médiocre faite à la va-vite pour éviter le désastre n’empêcha pas Au bonheur des dames de passer inaperçu. Mais Duvivier était déjà occupé à franchir le cap du parlant et certains de ses films des années 30 comptent parmi les beaux de notre cinématographie.
Au bonheur des dames a fait l’objet d’une très belle restauration par la Cinémathèque française et Lobster Films et c’est cette version qui a été édité en DVD par Arte et sera diffusé ce soir. L’accompagnement musical de 1930 a été perdu et a été remplacé par une remarquable composition originale de Gabriel Thibaudeau, qui s’inspire du jazz de l’époque et de thèmes de Gershwin, avec des passages chantés.
En 1957 Julien Duvivier retrouve Zola et le personnage d’Octave Mouret, à l’orée de son ascension sociale dans Pot-Bouille, adaptation d’un roman antérieur à Au bonheur des dames dans le cycle des Rougon-Macquart. Gérard Philipe succède à Pierre de Guiguand et Pot-Bouille est le dernier grand succès artistique et commercial de Julien Duvivier
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