Olivier Père

Bullitt de Peter Yates

Bullitt (1968) est diffusé ce soir sur ARTE à 20h45. Ce classique du polar américain ne saurait se réduire à sa spectaculaire course poursuite en voitures débutée dans les rues de San Francisco et qui lui assura une célébrité immédiate et internationale. Encore aujourd’hui Bullitt séduit surtout par la stylisation de sa mise en scène et la caractérisation de son héros : que se cache-t-il derrière l’attitude monolithique de Steve McQueen, alias « Mister Cool » ? Rien peut-être. Une enquête prétexte à base de faux témoin à protéger et de tueurs de la mafia est l’occasion d’une fiction comportementaliste autour du lieutenant de police Frank Bullitt, aussi déterminé qu’énigmatique. Ce rôle a beaucoup contribué au mythe personnel de la star Steve McQueen, d’abord chasseur de primes pour la télévision (la série western Au nom de la loi) et qui devint de la fin des années 60 aux années 70 la plus grande icône virile du cinéma hollywoodien.

Bullitt

Bullitt

Bullitt est un type insondable qui ballade son inexpressivité et sa pugnacité zen au milieu des cadavres et des circonvolutions d’une histoire faite de mensonges et de faux-semblants et qui semble ne jamais perdre son sang-froid, même dans les bras de sa maîtresse (la superbe Jacqueline Bisset) consternée par son mutisme/autisme. Pourrait-on pousser le bouchon un peu trop loin et parler d’incommunicabilité et de crise de l’image action au sujet de Bullitt ? Et si Antonioni avait réalisé Bullitt à San Francisco entre Blow Up à Londres et Zabriskie Point dans la Vallée de la mort ?

Ne rêvons pas. Plus modestement, le film est signé Peter Yates, cinéaste anglais recruté par Steve McQueen qui avait apprécié son polar Trois Milliards d’un coup (Robbery) tourné à Londres l’année précédente. Cette première expérience hollywoodienne d’une jeune cinéaste européen aux commandes d’un film noir est à comparer avec celle, plus ouvertement moderniste, de John Boorman et Le Point de non-retour (Point Blank, 1967). La musique de Lalo Schifrin est indissociable du succès de Bullitt, au même titre que sa longue poursuite en voitures. En 1970 Robert Altman réalise à Houston Brewster McCloud, une fable satirique dans laquelle il se moque du film de Peter Yates et met en scène un flic particulièrement stupide et inefficace nommé Frank Shaft.

Mais Bullitt a aussi connu une postérité plus flatteuse : French Connection (1971) de William Friedkin reprend la formule gagnante du film de Yates : souci de réalisme, enquête méticuleuse, brèves explosions de violence et morceau de bravoure sur quatre roues. Plus proche de nous, Nicolas Winding Refn et Ryan Gosling (Drive, 2001) n’ont pas caché leur dette à Peter Yates et à Steve McQueen.

Enfin, Peter Yates, au sein d’une carrière inégale et qui déconcerte par son éclectisme (passer de Krull à L’Habilleur, la même année, il faut le faire) a réalisé un chef-d’œuvre du cinéma criminel américain : ce n’est pas Bullitt, c’est le méconnu, « low profile » et pourtant extraordinaire Les Copains d’Eddie Coyle (The Friends of Eddie Coyle, 1973) avec l’une des plus belles interprétations de Robert Mitchum.

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