Olivier Père

3 films de Hitoshi Matsumoto

Urban distribution édite un coffret DVD qui réunit pour la première fois en France les trois longs métrages d’Hitoshi Matsumoto. On insiste, on persiste et on signe : Matsumoto est l’une des plus curieuses, enthousiasmantes, formidables apparitions sur la scène cinématographique mondiale des années 2000. Ce qui est réconfortant, c’est qu’on est plus le seul à le penser, quand on regarde les articles de qualité qui fleurissent sur la toile, en France et ailleurs, pour saluer le génie comique de cet artiste qui ne se contente pas d’enregistrer ses délires, mais a inventé (ou plutôt réinventé) ce qu’un blogueur a défini avec justesse : le film « trôle » (contraction de « triste » et « drôle »).

Hitoshi Matsumoto est né le 8 septembre 1963 à Amagasaki, sur la baie d’Osaka. Humoriste aux multiples talents (acteur, chanteur, réalisateur, écrivain et animateur de spectacles télévises), il fait ses débuts à la télévision en 1982 et accède à la gloire sous le pseudonyme de « Matchan », souvent aux côtés de Masatoshi Hamada avec lequel il crée le duo comique « Downtown », un peu à la manière de son prédécesseur Takeshi Kitano, qui lui aussi commença sa carrière comme amuseur à la télévision sous le nom de « Beat » Takeshi. Mais la comparaison s’arrête là. Kitano s’est épanoui dans le film de yakuza violent et l’envolée poétique, sans renier les gags agressifs de ses débuts. Matsumoto pratique un humour absurde et distancié, parfois enfantin. De son propre aveu, Matsumoto ne s’inspire de personne, ne voit pas les films des autres. Chaque idée de scénario, chaque concept de film naît de sa seule imagination fertile, et il se demande lui-même combien de longs métrages il pourra encore inventer de la sorte.

Hitoshi Matsumoto fait ses débuts dans la réalisation en 2007 avec Big Man Japan (Dai-Nihonjin), film dans lequel l’acteur-réalisateur prend plusieurs apparences physiques pour le même personnage : un père divorcé à moitié clochard et dépressif, qui se transforme en super héros inefficace quand le gouvernement japonais l’appelle (la preuve en trois photos).

Big Man Japan

le Big Man Japan au quotidien (Hitoshi Matsumoto)

Big Man Japan

Hitoshi Matsumoto sur le point de se transformer

Big Man Japan

Hitoshi Matsumoto en Big Man Japan

C’est le propre du cinéma de Matsumoto d’inventer à chaque film une forme cinématographique nouvelle et de l’expérimenter. Big Man Japan commence comme un documentaire, dans le style cinéma vérité, qui suit la morne existence d’un pauvre hère en voie de clochardisation. L’homme répond timidement aux questions du caméraman sur sa vie, son divorce et ses problèmes de voisinage lorsque son téléphone portable sonne. L’homme déclare qu’il doit immédiatement se rendre à son travail et invite l’équipe de reportage à le suivre. Nous atterrissons dans un hangar où l’homme, attendu par une équipe de scientifiques et de militaires, se transforme sous l’effet d’une puissante décharge électrique en super héros géant (le « Dai-Nihonjin » du titre, littéralement « Le Grand Japonais »), surhomme national chargé de défendre le pays des attaques répétées de monstres extraterrestres, tous plus grotesques les uns que les autres. Ses échecs et gaffes à répétition vont remettre en question son statut de sauveur et en faire au contraire un super héros impopulaire, sorte de honte nationale, et l’enfoncer dans sa dépression chronique. Le film devient alors une parodie désopilante des « Kaiju Eiga », les films de grands monstres popularisés par la série des « Godzilla » et autres « Rodan » ou « Gamera » des années 50 à nos jours, et reposant sur le cauchemar nucléaire d’Hiroshima et ses multiples traumatismes écologiques et psychologiques. Big Man Japan, découpé en plusieurs chapitres, alterne ensuite les mésaventures du Grand Japonais dans sa vie quotidienne et ses duels avec des créatures destructrices aux formes absurdes, qui troublent l’ordre et semant la panique par leurs comportements violents ou libidineux. Le film devient aussi une satire de la célébrité médiatique et du nationalisme japonais, lorsqu’un des monstres débarque tout droit de la Corée du Nord avec des intentions belliqueuses.

Hitoshi Matsumoto en pyjama dans Symbol

Hitoshi Matsumoto en pyjama dans Symbol

En 2009, Matsumoto signe son deuxième long métrage Symbol (Shinboru) qui invente une forme de film concept encore plus radicale, qui emprunte une nouvelle fois aux jeux vidéo et à l’art surréaliste (narration par niveaux successifs, imaginaire poétique foisonnant). Cette fois-ci Matsumoto est la victime d’un dispositif piège, personnage anonyme en pyjama prisonnier d’une chambre blanche aux murs tapissés d’interrupteurs en forme de petits sexes masculins (!) Chaque pression sur un « interrupteur » va déclencher un gag, une apparition, un danger, une histoire devant un Matsumoto spectateur acteur de son propre film, passant d’une chambre à une autre dans l’espoir de trouver la porte de sortie. Totalement imprévisible, le film se conclut sur une image métaphysique, avec un écho à l’apocalypse, obsession du cinéaste qui dans Symbol s’est fait la tête du chef d’une secte religieuse japonaise ayant défrayé la chronique à cause d’attentats criminels. Tandis que Big Man Japan faisait l’apologie d’un cinéma impur, perméable à toutes les intrusions esthétiques et narratives, Symbol est un exemple rare de cinéma pur et de comédie expérimentale, un bloc conceptuel à la fois proche des audaces du cinéma burlesque muet et des installations intellectuelles de l’art contemporain.

Saya Zamurai, chef-d'oeuvre du film "trôle"

Saya Zamurai, chef-d’oeuvre du film « trôle »

Le troisième film de Hitoshi Matsumoto s’intitule Saya Zamurai (2011). Pour la première fois, Matsumoto s’attaque à un des genres les plus populaires et codifiés du cinéma japonais, le film de samouraïs, régulièrement soumis à de nouvelles variations postmodernes ou néoclassiques (chez Kitano ou récemment Takashi Miike par exemple.) Kanjuro Nomi est un samouraï sans sabre, répudié par tous et errant misérablement sur les routes avec sa fille depuis qu’il a refusé de combattre et abandonné son maître.
Tombé entre les mains d’un seigneur aux désirs excentriques, il doit relever un défi cruel. Il a trente jours pour provoquer un sourire sur le visage mélancolique d’un petit prince, à raison d’une tentative quotidienne durant des festivités. S’il échoue, il sera condamné à se faire « seppuku », soit un suicide rituel par éventration au sabre. Matsumoto reste fidèle à son humour absurde et à son goût de la construction en sketches, mais il décide d’adopter le registre du film pour enfants, avec une belle relation entre un père et sa fille, cruelle et inversée, et même du mélodrame, avec une fin très émouvante. Après la dérision et la sidération, place à l’émotion. On pense cette fois-ci à Jerry Lewis, le clown qui voulait faire pleurer. Cela n’empêche pas des scènes hallucinantes à la limite du bon sens et du bon goût qui évoquent parfois un Jackass en costumes. C’est aussi la première fois que Matsumoto ne joue pas dans un de ses films, préférant confier le rôle principal du samouraï sans sabre à un acteur non professionnel, Takaaki Nomi, pauvre ère découvert à l’occasion de ses émissions de télévision où il s’amuse avec des personnes choisies dans la rue. Plus classique en apparence que les deux précédents films de Matsumoto, mais aussi plus accompli sur le plan formel, Saya Zamurai n’en demeure pas moins un projet fou, dans sa conception et sa réalisation, puisque Takaaki Nomi, ignorait qu’il jouait dans un film pendant la moitié du tournage.

Les suppléments proposent une conversation avec le réalisateur au moment de la présentation de Saya Zamurai au Festival de Deauville, et surtout des reportages sur les conférences de presse et projections du film au Japon, à Osaka et Tokyo, et la première internationale au Festival del film Locarno, sur la Piazza Grande. Moments émouvants de liesse populaire et d’hilarité. Lors d’un entretien Matsumoto déclare : « je fais des films pour remplir mon cercueil. »

 

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