Olivier Père

Argo de Ben Affleck

Argo

Argo

Découvert en première mondiale au Festival de Toronto, parmi les meilleurs films vus là-bas, Argo (sortie le 7 novembre en France) démontre qu’une bonne histoire peut encore faire un bon film, quand elle est bien racontée. Il se trouve que cette histoire est vraie, longtemps gardée secrète, et que cela ajoute à la réussite du film de Ben Affleck. Argo n’est pas seulement un haletant récit d’espionnage, une excellente reconstitution historique, c’est aussi, et surtout, un film sur le pouvoir du cinéma, du moins tel qu’il existait encore à la fin du XXème siècle.

John Goodman, Alan Arkin et Ben Affleck dans Argo

John Goodman, Alan Arkin et Ben Affleck dans Argo

Le 4 novembre 1979, en pleine révolution iranienne, des militants envahissent l’ambassade américaine de Téhéran, et prennent 52 Américains en otage. Mais au milieu du chaos, six employés réussissent à s’échapper et à se réfugier au domicile de l’ambassadeur canadien, Ken Taylor. Sachant qu’ils seront inévitablement découverts et probablement tués, un spécialiste de « l’exfiltration » de la CIA du nom de Tony Mendez monte un plan risqué visant à les faire sortir du pays. L’idée lui vient d’une visite à son fils (il est divorcé de sa femme), fan de Star Wars. Il s’agit de prendre pour prétexte la production d’un film de science-fiction canadien nécessitant des prises de vues en Iran pour entrer dans le pays et repartir avec les six américains camouflés en membres de l’équipe. Pour cela, Mendez fabrique d’abord une solide couverture à l’opération en sollicitant la collaboration d’un producteur ringard d’Hollywood qui accepte de lancer en grand pompe avec conférence de presse et articles dans la presse professionnelle le (faux) financement d’un (faux) film de science-fiction, croisement entre Flash Gordon et Battlestar Galactica, dont les décors futuristes. Pour rendre crédible l’entreprise, Mendez recrute aussi John Chambers, spécialiste des effets spéciaux qui avait reçu un Oscar spécial pour son travail de maquilleur sur le film La Planète des singes. Le producteur est interprété par Alan Arkin et Chambers par John Goodman, détail savoureux si l’on sait que ce dernier incarnait déjà un clone de William Castle dans Panic à Florida Beach (Matinee, 1993) de Joe Dante.

Ben Affleck dans Argo

Ben Affleck dans Argo

Ces deux figures vieillissantes et démodées de l’industrie cinématographique du début des années 80 vont permettre la réussite de la plus audacieuse et improbables des opérations de sauvetage. Lâché au dernier moment par la C.I.A. qui souhaite annuler la mission alors qu’il est déjà à Téhéran, Mendez prendra le risque de désobéir aux ordres et de mener à bien son plan, ce qui nous faut un chouette morceau de bravoure plein de suspens. Affleck avait déjà prouvé, à la grande surprise de tout le monde, qu’il était un bon réalisateur avec ses deux premiers films, des polars très estimables, Gone Baby Gone et The Town. Argo confirme le bien que l’on pouvait penser de cet acteur surement plus intelligent qu’il en a l’air et qui mérite mieux que les personnages tête à claques des (mauvais) films qu’il interprète.

Chuck Norris dans Delta Force

Chuck Norris dans Delta Force

Ici il s’octroie bien sûr le rôle principal et s’attire immédiatement notre sympathie avec son air renfrogné, son professionnalisme et une barbe en mousse qui le font ressembler à un Chuck Norris ayant pris des hormones de croissance. L’allusion à Chuck n’est pas anecdotique si l’on sait que la mission Argo faillit échouer à la dernière minute à cause de la Delta Force qui voulait employer la manière forte pour libérer les otages américains plutôt que la ruse de sioux de Mendez, moins onéreuse et beaucoup plus efficace.

C’est d’ailleurs ce qui surviendra quelques mois plus tard (l’opération Argo se déroula le 28 janvier 1980) : les 24 et 25 avril une opération militaire de grand envergure (baptisée « Eagle Claw ») se solda par un désastre causant la mort de 8 soldats américains et de lourdes pertes matérielles, la faute d’une préparation suffisante et de carences logistiques. Ce fiasco aura pour conséquences directes la réorganisation des forces spéciales américaines (fini la Delta Force) et la défaite de Jimmy Carter aux élections présidentielles. C’est d’ailleurs le jour de l’investiture à la Maison Blanche de Ronald Reagan, le 20 janvier 1981, que seront relâchés par les Iraniens les 53 otages américains, après 444 jours de captivité.

Cela pourrait aussi faire un bon film (qui n’aurait rien à voir avec la gloriole patriotique et gentiment ringarde du film de Menahem Golan avec Chuck Norris, Delta Force réalisé en 1986).

Pour revenir à Argo, la scène la plus évocatrice montre comment Mendez et les employés de l’Ambassade parviennent à franchir un barrage de contrôle à l’aéroport en exhibant aux soldats iraniens comme preuve de leur bonne foi des planches de story board d’Argo. Les dessins montrant un héros intergalactique, des vilains, une princesse et des vaisseaux ressemblant à des tapis volants. Les gardiens intransigeants de la Révolution islamique sont fascinés par ces dessins évoquant les « Mille et Une Nuits » et laissent les étrangers monter dans l’avion.

On imagine que cette scène prend une grand liberté par rapport à la vérité historique (et pas seulement elle : les Canadiens ont râlé de voir leur ambassadeur héroïque relégué au rang de faire valoir.) Mais cette scène purement cinématographique (et même hitchcockienne) résume le projet d’Argo : montrer le pouvoir du cinéma et plus particulièrement du cinéma hollywoodien, usine à rêves capable d’émerveiller (et d’endormir à l’occasion) toute la population mondiale, y compris les ennemis de l’Amérique.

Les professionnels de la profession ne devraient pas demeurer insensibles à cette déclaration d’amour – même critique et ironique – au cinéma. Comme The Artist l’année dernière, Argo a de fortes chances de gagner quelques statuettes à la prochaine cérémonie des Oscars.

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