Nous sommes loin d’avoir vu tous les films (103) réalisés par Koji Wakamatsu, mais United Red Army (Jitsuroku Rengo Sekigun: Asama sanso e no michi, 2007) est celui que nous préférons et qui nous a fait la plus forte impression. Son retentissement international, sans commune mesure avec les nombreux films précédents de Wakamatsu, fut entièrement mérité car il saluait à la fois l’importance et l’ambition d’un film en particulier et l’œuvre d’un cinéaste courageux et obstiné dans sa démarche cinématographique. Ce film monstre marqua le retour en force de Koji Wakamatsu, cinéaste marginal et subversif associé à l’érotisme des années 60, et que la critique avait perdu de vue malgré son activité toujours intense. United Red Army s’impose comme une sorte de monument de plus de trois heures sur une des pages les plus tragiques de l’histoire moderne du Japon. Un devoir de colère plus que de mémoire, motivé par le besoin de retrouver la vérité d’un drame qui fit l’objet de trop de récupérations, y compris au cinéma.
Le film propose dans sa première partie une chronologie détaillée de l’extrême gauche japonaise à partir de 1960. La radicalisation de la contestation étudiante va déboucher sur la création de groupuscules d’extrême gauche, parmi lesquels l’Armée rouge unifiée. Le recours aux images d’archives disparaît peu à peu et la reconstitution fictionnelle s’installe. Le film nous montre l’entrée en clandestinité du groupe qui se réfugie dans un chalet en montagne, pour préparer la révolution, mais aussi vérifier la loyauté de ses membres au cours d’autocritiques musclées, caricatures absurdes des procès staliniens ou maoïstes. Le film s’enfonce alors dans un huis clos hallucinant et cauchemardesque. Les interrogatoires vont se transformer en véritables séances de tortures collectives aux cours desquelles quatorze jeunes étudiants, soupçonnés de traîtrise ou de mollesse, perdront la vie. En 1972, l’Armée rouge unifiée organise une prise d’otage dans un chalet. Cette action désespérée tiendra le Japon en haleine plusieurs heures et sera retransmise en direct et en continu par la télévision nationale. Un événement sans précédent, sans doute « mis en scène » par la police et dont l’issue sanglante sonnera le glas de toute la gauche japonaise, totalement décrédibilisée aux yeux de l’opinion.
La dimension didactique du film, entre théâtralité et reconstitution, évoque le projet télévisuel rossellinien, encyclopédique et humaniste. À la différence que Wakamatsu, compagnon de route de l’extrême gauche à l’époque des faits, enregistre les minutes d’une catastrophe annoncée, d’un traumatisme national, d’un dérèglement vicieux des idéaux révolutionnaires. On comprend que ces excès criminels de pureté sont les conséquences des pathologies politiques et sexuelles charriées par le monstrueux couple de petits chefs qui dirige le groupe.
United Red Army vient confirmer que les séries B de Wakamatsu étaient déjà des témoignages exacts d’une certaine forme de violence politique. Le cinéaste n’a jamais exalté le sexe comme force libertaire, il a mis en scène des allégories où des pratiques déviantes reproduisent les processus de soumission et de destruction politico-économiques. Nous ne sommes pas loin du Salò de Pasolini. Un chef-d’œuvre de l’ère numérique, qui décortique une époque et un fait-divers pour tenter de comprendre le fanatisme.
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