Olivier Père

Partie de campagne de Jean Renoir

Film inachevé (il ne dure que 40 minutes), Partie de campagne (1936) est pourtant un modèle d’adaptation littéraire. On comprend aisément ce qui séduisit Renoir dans la nouvelle de Maupassant : la sensualité qui déborde du cadre étouffant de la famille, le premier éveil, grâce à la nature, des sens d’une jeune fille, et surtout la rivière, charriant les êtres comme des bouchons, au gré du courant, avec plus ou moins de bonheur. Seul Renoir est parvenu à exprimer au cinéma l’idée la plus haute du naturalisme, posant sur le monde un regard noir, cruel mais sans complaisance, avant d’atteindre la sérénité des œuvres de vieillesse au panthéisme joyeux comme Le Déjeuner sur l’herbe (1959), contrepoint optimiste et tardif de Partie de campagne où l’érotisme est enfin source de bonheur. Et puis il y a Sylvia Bataille, pure apparition, abolie par son aura angélique de la médiocrité bourgeoise qui l’accompagne, femme en devenir flottant entre ciel et terre (la scène où les deux amis la contemplent sur sa balançoire procure un vertige aérien qui n’est pas seulement dû à la vitesse), détentrice du plus bouleversant regard caméra de l’histoire du cinéma. Elle possède la modernité des actrices instinctives, dont le jeu date immédiatement celui de ses partenaires. Il ne faut craindre, concernant Renoir, aucun superlatif : si les grands films sont toujours des documentaires sur les acteurs, Partie de campagne est le plus grand des films.

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