Olivier Père

La Chienne de Jean Renoir

Nous avons commencé la lecture de la monumentale biographie consacrée à Jean Renoir par Pascal Mérigeau, chez Flammarion. Un livre attendu depuis longtemps et comme Mérigeau a déjà fait du bon travail sur Mankiewicz et Pialat, entre autres, aucune raison de ne pas se précipiter sur les 1101 pages retraçant et analysant la vie et l’œuvre d’un de nos cinéastes préférés. Renoir est sans doute le plus grand cinéaste français, et l’un des plus grands de l’histoire du cinéma, aux côtés de Murnau, Ford, Mizoguchi Ce qui peut paraître pour nombre de cinéphiles du monde entier l’affirmation d’une évidence ne fait pas oublier le statut particulier d’un auteur dont l’œuvre, réfractaire à l’embaumement, témoigne avant tout d’une audace, d’une liberté, d’une soif de recherche et d’une aisance dans l’inspiration absolument uniques.

Pourquoi nous aimons Renoir ? Parce la plupart de ses films sont géniaux sans pour autant prétendre au statut de « classiques » de l’histoire du cinéma. C’est ce qui leur confère une jeunesse, une modernité, à nulle autre pareille. Renoir est le cinéaste anti académique par excellence. C’est aussi un cinéaste (le seul ?) dont la curiosité et la réflexion embrassent toutes les classes sociales, toutes les époques, tous les arts, à la fois le monde et la société, la nature et la culture, les hommes et les femmes, le vrai et le faux, le réel et sa représentation. Il y a tout dans Renoir et tout est dans Renoir. Dans l’impossibilité de citer les nombreux grands films qui façonnent son œuvre, de la cruauté des débuts jusqu’à l’épanouissement sensuel de la maturité, puis à l’épure télévisuelle de la vieillesse, nous avons choisi d’extraire presque arbitrairement un film de la première partie de sa filmographie. Pour commencer car nos reviendrons sans doute bientôt sur Renoir au fil de la lecture de sa biographie et de la revoyure de ses plus beaux films (Le Carrosse d’or ressort en salles le 31 octobre.) Vu et revu récemment, et davantage qu’un film de chevet (ce qu’il est) ou un classique du répertoire (ce qu’il est aussi), La Chienne est tout simplement un sommet précoce de l’art renoirien.

Deuxième film parlant de Renoir après On purge bébé, La Chienne inaugure une longue série de films sublimes et se caractérise par une utilisation déjà parfaitement maîtrisée du son direct, le beau souci du cinéaste. C’est effet l’atmosphère sonore qui confère au film son réalisme, tandis que le cadre a tendance à souligner la théâtralité des situations. La profondeur de champ renvoie souvent à la scène du théâtre. L’introduction nous montre d’ailleurs un spectacle de Guignol où les marionnettes présentent les personnages du film et se contredisent sur sa portée profonde : s’agit-il d’un conte moral ou d’une simple histoire de passion criminelle, mélange de boulevard et de fait-divers ? Au spectateur de trouver la réponse. L’interprétation géniale de Michel Simon et des autres comédiens possède sous la direction de Renoir ce mélange de vérité proche de l’improvisation et d’excentricité qui enrichit le dialogue réalité théâtre au sein du film. Renoir a offert à Michel Simon (avec Jean Vigo et Sacha Guitry) les plus beaux rôles de sa carrière. La transformation du petit-bourgeois brimé par ses patrons et sa femme en amoureux transi poussé au crime puis en homme libre de toute entrave, au prix de la clochardisation, annonce bien sûr le personnage de Boudu que les deux artistes créeront ensemble un an plus tard dans un autre chef-d’œuvre, Boudu sauvé des eaux.

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