Olivier Père

Locarno 2012 Day 4 : Pedro González-Rubio

Pedro González-Rubio

Pedro González-Rubio

Pedro González-Rubio est un jeune cinéaste mexicain né en 1976. Il a étudié les médias à Mexico avant d’entrer à la London Film School. Il coréalise un documentaire en 2005, Toro negro, avec Carlos Armella.

Inori, l'un des 15 films de la compétition "Cinéastes du présent"

Inori, l’un des 15 films de la compétition « Cinéastes du présent »

Nous admirons Pedro González-Rubio depuis la découverte de son premier film réalisé seul, le magnifique Alamar (2009). Nous sommes très heureux d’accueillir en première mondiale au Festival del film Locarno son nouveau film Inori, dans la section compétitive « Cinéastes du présent ». Inori a été tourné entièrement au Japon, produit par la cinéaste Naomi Kawase (que nous invitons aussi à Locarno cet été pour une leçon de cinéma et la projection de ses nouveaux documentaires) dans le cadre du projet NARArive 2012, organisé par le Nara International Film Festival. Nara est la ville natale de Naomi Kawase qui est restée très attachée à cette région, lui a consacré plusieurs films et a imaginé ce festival de cinéma dédié à la fiction et au documentaire où elle invite des réalisateurs du monde entier et produit le film suivant du lauréat de la compétition (soit Pedro González-Rubio en 2011.) Mais revenons d’abord à Alamar qui nous avait enchanté lors de sa sortie française le 1er décembre 2010, après son passage dans de nombreux festivals internationaux.

Un homme mexicain et une femme italienne se sont aimés, un enfant est né de cette brève romance. C’est le prologue d’Alamar, façon film de vacances. La femme est repartie à Rome, laissant l’homme, Jorge, mener une existence de Robinson dans le Banco Chincorro, une des plus grandes barrières de corail du monde, encore protégée de la pollution et de la civilisation, où quelques pêcheurs vivent en communion avec la mer et la nature.

Chaque été, le petit Natan part rejoindre son père et son grand-père, et adopte pendant quelque semaine une vie de bon sauvage, où l’apprentissage des activités piscicoles se mêle à la découverte de la faune et de la flore de la région, entre plongée autonome, excursions en bateau et cours de philosophie panthéiste négligemment dispensés par les adultes. Alamar peut commencer. Ce film enchanteur transporte le spectateur dans un état de bonheur et de nostalgie, heureux d’assister à quelques moments de vie tellement simples qu’ils deviennent épiques. Le sentiment de fragilité et le caractère précieux car provisoire des moments vécus entre un père et son fils éveillent le double fantasme d’un paradis perdu. Celui d’une relation harmonieuse avec la nature (sublime et généreuse, mais aussi en sursis, comme la plupart des sites écologiques) et celui d’une très émouvante relation père fils, loin des interférences de la culture et de la société occidentales.

Voici un film qui retrouve les vertus de l’observation, capable de raconter une histoire, mais aussi des histoires en restant disponible au moindre événement, en accordant presque autant d’importance aux hommes qu’aux animaux, qui partagent souvent le même plan et les mêmes instants de plénitude. On apprend dans Alamar comment écailler un poisson, mais on y  fait aussi la connaissance d’un crocodile à moitié domestiqué, qui paresse aux alentours de la maison sur pilotis de Jorge, plantée au milieu du lagon, et de la mouette Blanquita, qui devient un temps la mascotte de la famille en débarrassant la case de ses blattes, et la star invitée du film, assez cabotine.

Alamar

Alamar

Alamar est le premier film de fiction d’un jeune cinéaste mexicain issu du documentaire. Une fois de plus, cette frontière entre romanesque et la réalité est au cœur du projet, mais elle se passe de mise en abyme et de dispositif savant. Les « personnages » jouent leur propre rôle, le réalisateur se contente d’observer ces vies magnifiques sans aucun chichi, toujours à la juste distance. « Les choses sont là, pourquoi les déranger ? » Ce précepte rossellinien vient à l’esprit durant toute la projection d’Alamar. On ne peut non plus s’empêcher de penser à Nanouk l’esquimau et aux autres films de Robert Flaherty, mais aussi aux textes d’André Bazin sur le cinéma comme art réaliste en contemplant un film aussi amoureux de ce (et ceux) que la caméra enregistre. Ce miracle de simplicité et de poésie a aussi le bon goût de s’adresser aussi bien aux enfants qu’aux adultes, ce qui est une excellente nouvelle à une époque où le cinéma de création, hormis l’animation, semble se ficher du jeune public.

Après Alamar, Pedro González-Rubio revient avec un second long métrage à la démarche esthétique similaire mais très surprenant puisqu’entièrement tourné au Japon, dans un petit village de montagne, à Kannogawa où la vie d’écoule paisiblement en harmonie avec la nature. Trop paisiblement sans doute au goût des – rares – habitants de la région puisque ce qui était auparavant une ville animée est aujourd’hui un lieu fantôme victime de la désertification des campagnes. Le monde rural est désormais un mouroir où des personnes âgées sont les dernières à entretenir le lien entre les hommes et la nature, les activités quotidiennes et le cycle des saisons, entre travail et méditation, mémoire vivante d’un monde en train de disparaître avec elles.

Comme la barrière de corail d’Alamar, la campagne japonaise est un paradis perdu, menacé par le cours du monde, où vit en sursis une communauté humaine respectueuse de l’écologie. La différence tient dans une relation plus shintoïste que panthéiste, culture et tradition japonaises obligent (« Inori » veut dire « prière ») et l’âge des protagonistes, qui semblent rivaliser de longévité avec les arbres de la forêt et les pierres des torrents. La mise en scène documentaire de  Pedro González-Rubio (la dimension fictionnelle est moins prégnante que dans Alamar) est invariablement belle, à l’image des sites et des visages filmés (force spectaculaire de la nature non domestiquée) avec une tentation contemplative qui épouse le rythme de la vie à Kannogawa.

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