Olivier Père

La Nuit du chasseur de Charles Laughton

Depuis le 13 avril à Paris on peut voir ou revoir au cinéma, distribué par Carlotta dans une copie restaurée, La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955) interprété par Robert Mitchum, Shelley Winters, Lillian Gish, James Gleason, Evelyn Varden, Peter Graves…
En linguistique, un « hapax » désigne un mot, une forme ou un emploi dont on ne peut relever qu’un exemple à une époque donnée. Existe-t-il une possibilité d’hapax cinématographique ? Soit des films uniques à au moins deux titres : uniques dans l’histoire du cinéma, uniques dans la vie de leur auteur. Des exemples, on en trouve. Ce sont souvent des films de comédiens (La Vengeance aux deux visages de Marlon Brando, western abandonné par Stanley Kubrick où transpire le masochisme délirant de la star, Wanda de Barbara Loden, tourné contre Kazan, tout contre), d’écrivains (Beckett, Genet, Malraux, Malaparte, Mishima,…) ou de musiciens (Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle). Des artistes en marge du système ou des personnalités inattendues dans la fonction du cinéaste qui s’approprient ou réinventent le cinématographe le temps d’une création sans lendemain, interrompue par le silence, volontaire ou forcé, ou la mort. La Nuit du chasseur, l’unique film du génial comédien Charles Laughton, n’a rencontré à l’époque de sa sortie qu’incompréhension de la part du public et de la critique (François Truffaut était passé à côté), pour devenir au fil des années le film de chevet de spectateurs de plus en plus nombreux à chaque nouvelle réédition ou passage télé. Le film ne ressemble à rien de connu, mais il ne vient pas de nulle part. Il témoigne de l’immense culture et de l’intelligence de son auteur. Ses origines se trouvent à la fois dans l’expressionnisme et le caligarisme allemand (la scène du meurtre de Shelley Winters), la peinture hyperréaliste américaine (la campagne des tableaux d’Edward Hopper) et le surréalisme (La Nuit du chasseur regorge d’images et de symboles sexuels que n’aurait pas reniés Salvador Dalì.) C’est un conte, une parabole, un cauchemar. C’est un film sublime sur l’enfance, l’initiation, la perte de l’innocence, mais aussi une satire féroce de l’hypocrisie sociale, du puritanisme et de la bigoterie. C’est une étude sur la névrose sexuelle, la frustration, la mégalomanie. Jamais aucun autre film n’est parvenu à contenir autant de richesses, de ruptures esthétiques et de digressions (l’épisode du bourreau qui rentre border ses enfants) en donnant une telle impression de complétude et d’harmonie. Un film-monde et un film-rêve. Pourquoi Charles Laughton n’a-t-il pas réalisé un second film ? « Parce qu’il est mort », avait un jour répondu en blaguant Robert Mitchum, de son vivant. Charles Laugthon, mort sept ans après la sortie de La Nuit du chasseur, avait surtout signé un film qui n’en appelait pas d’autre, un testament poétique, un adieu. Film sans égal, La Nuit du chasseur n’est pourtant pas une œuvre sans descendance. Il ne fait aucun doute que La Nuit du chasseur a eu une influence décisive sur l’œuvre de Lynch par exemple, mais aussi – et surtout – sur la vie de certains cinéphiles, anonymes ou célèbres (Marguerite Duras, Serge Daney) qui le comptent parmi les plus beaux films du monde, et vivent dans son souvenir.

La Nuit du chasseur de Charles Laughton.
© Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

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